XIII. 3 : Les droits des animaux dans le nouveau Catéchisme
« In the nineteenth and twentieth centuries, the Catholic Church’s attitude toward animals and nature has varied from hostility to indifference, to the initial glimmerings of concern. During this period, and up to the present time, church leaders can be found representing any and all of these positions.
However, in recent years, amazing progress has been made in moving the church toward if not yet into the ranks of those advocating protection of animals and the environment. It has been a long and difficult journey, and there is still a long way to go (!) » [1].
Dans son nouveau Catéchisme de 1992, l’Eglise catholique a, certes, rompu un silence séculaire par rapport à l’ancien Catéchisme [2] , mais les quatre paragraphes consacrés à l’animal (n° 2415 à 2418) [3], rappellent en définitif -à quelques nuances près- la position classique pluriséculaire de l’Eglise :
a) « La domination accordée par le Créateur à l’homme sur les êtres inanimés et les autres vivants n’est pas absolue…Elle exige un respect religieux de l’intégrité de la Création » (n° 2415).
b) « Les animaux sont des créatures de Dieu …(qui) les entoure de sa sollicitude providentielle. Par leur simple existence, ils le bénissent et lui rendent gloire. Aussi les hommes leur doivent-ils bienveillance » [4](n° 2416).
c) « Dieu a confié les animaux à la gérance de celui qu’Il a créé à son image. Il est donc légitime de se servir des animaux pour la nourriture et la confection des vêtements… (de même que pour) les expérimentations médicales et scientifiques… pourvu qu’elles restent dans des limites raisonnables et contribuent à soigner ou sauver des vies humaines » (n° 2417).
d) « Il est contraire à la dignité humaine de faire souffrir inutilement les animaux… Il est également indigne de dépenser pour eux des sommes qui devraient en priorité soulager la misère des hommes. On peut aimer les animaux ; on ne saurait détourner vers eux l’affection due au seules personnes » (n° 2418).
Ces paragraphes sont significatifs de l’attitude très réservée de l’Eglise catholique à l’égard de l’animal. Même si l’Eglise officielle rappelle la responsabilité avec -« un esprit religieux »- de l’homme à l’égard de la Création, elle reste très prudente quant à la manière de faire. L’Eglise met plus en garde par rapport à une exagération de l’affection pour l’animal au détriment de celle due à l’homme. En conclusion, on peut affirmer que si certains paragraphes permettent « des pas en avant », aussitôt on trouve des paragraphes qui font « des pas en arrière » [5].
Pourquoi le Catéchisme ne va-t-il pas plus loin dans sa démarche et n’interdit pas par exemple la corrida, le combat des coqs, la chasse à cour… Pour Monseigneur Brand les paragraphes « pèchent par excès de concision » [6].
Le Mouvement chrétien pour l’écologie et la protection animale (MCEPA) critique ces paragraphes car « il manque à ce texte une condamnation explicite de la torture et de la cruauté envers l’animal ».
Le MCEPA propose différents amendements au texte, ainsi rajoute-t-il au paragraphe 2415 : « Ce n’est pas une domination que Dieu accorde à l’homme, mais une responsabilité, le souci du bien du prochain, dont les animaux font partie. Le Créateur fit la terre pour l’ensemble de ses créatures et non pour l’homme seul, qui doit partager… » L’amendement continue en évoquant l’Alliance de Dieu avec Noé, suite au Déluge. En effet, cette alliance, Dieu l’a fait non seulement avec Noé, ses fils et les générations humaines à venir, mais aussi avec « tous les êtres vivants…oiseaux, bestiaux, toutes les bêtes sauvages » (Gn IX, 9-10). Pour le paragraphe 2417, l’amendement du MCEPA va très loin, car il propose que soit inclus dans le texte du Catéchisme : « L’homme, pour se nourrir, tuera le moins possible : le végétarisme est un choix respectable… Les jeux cruels et loisirs sanguinaires (corridas, chasse-loisirs, etc.) sont inacceptables et doivent cesser. Toute expérimentation scientifique sur l’animal autre que médicale, qui ne respecterait pas son intégrité physique et son bien-être, doit être proscrite » [7]. Le MCEPA n’est pas le seul mouvement à avoir réagi aux nouveaux articles du catéchisme.
La courageuse fondation suisse de Franz Weber, éminent écologiste et défenseur invétéré des animaux, a également à deux reprises émis des propositions d’ajustement aux paragraphes du catéchisme. Dans son Journal Franz Weber, journal trimestriel daté du mois d’octobre à décembre 1996, l’auteur Hans Fischinger rappelle la pression publique pour une modification des paragraphes concernant la peine de mort et la guerre. Il souhaite l’équivalent de cette pression publique pour ce qui concerne les paragraphes sur les animaux. Ces paragraphes « peuvent être changés aussi bien (que ceux sur la peine de mort), autant que les demandes parviennent nombreuses au Vatican. C’est là notre seule chance d’obtenir quelque chose en faveur des innocentes créatures de Dieu » .
Fischinger, invitant ses lecteurs à écrire directement au pape Jean-Paul II et au cardinal Ratzinger, préfet de la Congrégation pour la doctrine de la foi, exige une révision « de fond en comble » des paragraphes auxquels il apporte lui-même de nombreuses modifications. Seul le paragraphe 2416 trouve grâce à ses yeux. Tous les autres, notamment le paragraphe 2415, sont même vus comme des « insultes au Créateur », des « phrases monstrueuses ». Pour Fischinger, il est « indigne et satanique » de considérer les êtres vivants à côté des richesses de la terre, des minéraux (2415). Que l’animal serve l’homme dans ses loisirs (2417) est pour l’auteur de l’article inacceptable surtout s’il s’agit, à l’exemple d’un prêtre espagnol de Titulcia, d’organiser des combats de taureaux après la messe « sur la place de l’Eglise, afin de rafler quelque argent » [8].
Quant aux expériences médicales basées sur l’utilisation des animaux, « pratiques moralement acceptables » (2417) aux yeux du nouveau catéchisme, ce sont des tromperies et des « crimes » pour Fischinger. L’auteur poursuit en accusant l’Eglise catholique de collaborationnisme « en raison des profits gigantesques » procurés par l’expérimentation pharmaceutique et cosmétique. Le ton très critique et polémique de Fischinger est rejoint dans le même journal par un autre article, article rédigé par A. Lindbergh.
Alika Lindbergh se dit à la suite de Fischinger choquée par les paragraphes sus-mentionnés. Ces paragraphes reprennent selon elle des « positions arriérées ». Concernant le numéro 2417, l’« Eglise peut-elle ignorer qu’environ 90 % des expériences ne sont pas pour la médecine, mais pour la guerre » . L’auteur se dit déçue de ne trouver dans les paragraphes aucune trace de compassion voire de notion de "respect de la vie". L’article se termine en s’adressant directement aux « rédacteurs du catéchisme qui déchristianisent une religion d’amour » leur rappelant que le respect de la vie ne saurait connaître de « mesquines limites » !
La déception a été grande lors de la publication du nouveau catéchisme. On ne prit pas assez en compte au Vatican les remarques précitées et les critiques se lassant avec le temps par elles-mêmes, un désintérêt croissant pour « les affaires de l’Eglise catholique » remplaça le mécontentement.
Quelques années plus tard, un autre article, celui-ci agréé par la hiérarchie catholique ce qui constitue une première, réaffirme la position catholique exprimée dans le nouveau Catéchisme. Dans son article, publié par l’Osservatore Romano [9] en janvier 2001, l’auteur, la théologienne belge, Marie Hendrickx, membre de la Congrégation de la foi, part d’une réflexion chrétienne sur la souffrance. Elle y dénonce les souffrances gratuites exercées par l’homme sur l’animal. Si l’homme a bien le droit de se vêtir et de se nourrir, cela n’implique pas forcément la détention de poulets en batterie « où chacun dispose d’un espace plus petit qu’une feuille de papier ».
De même, « le droit de nous servir d’animaux », droit légitime pour l’auteur qui dénonce le courant égalitariste du philosophe Peter Singer [10], ne devrait pas permettre d’ « immobiliser des truies dans la position de l’allaitement au moyen d’anneaux de fer, pour permettre à une file de porcelets de téter du lait sans jamais s’arrêter et grandir ainsi plus vite ». Le motif du gain ne peut en aucune manière justifier cette souffrance. L’auteur, rappelant la supériorité de l’homme, seule espèce créée à l’image et à la ressemblance de Dieu, fonde ce constat dans l’incapacité pour les animaux de s’ « intus-legere », c.-à-d. de lire en eux-mêmes. Cette faculté -qui met donc l’homme au-dessus de l’animal- est l’« image » dont parle la Genèse, c.-à-d. la raison, aspect « spécifiquement humain de l’intelligence qui dérive d’une participation particulière à l’intelligence divine » [11].
Le seul point original de l’article, mais qui reste assez énigmatique, l’auteur y omettant le mot pourtant sous-entendu de -résurrection- se trouve dans la dernière partie de l’article. La sainteté, marquée par la réconciliation de l’homme avec la nature (cf. Isaïe), est également synonyme d’harmonie avec le monde animal. Cette sainteté, connaissance de Dieu, communion intime avec lui, nous sommes appelés à la percevoir au plus tard au moment de notre propre mort. La rencontre définitive de l’homme avec Dieu se fera, selon l’auteur, avec « tous nos liens affectifs passés, aussi humbles soient-ils (qui) y retrouveront leur place, purifiés et justes, ordonnés vers lui. Pour Dieu, rien de ce qui est humain ne peut être perdu, pas même les simples liens que nous avons établis avec les créatures animales, qui pouvaient peupler notre solitude ».
Finissons cette partie, en rappelant l’opinion -légèrement isolée il est vrai- de Mgr Brand qui en appelle à la notion de gérance de l’homme du créé. L’homme selon Brand est plutôt appelé à être un collaborateur de Dieu, un intendant. Dans ce sens Brand affirme, et nous y souscrivons sans peine :
« Au nom de la gérance confiée à l’homme, il appartient aux croyants de s’engager pour une défense active de la création et du monde animal. Et cela non seulement parce que l’homme se dégrade en maltraitant les créatures inférieures, non seulement parce que, la disposition à la cruauté étant indivisible, le bourreau d’animaux risque de devenir cruel envers ses semblables (…) L’engagement des croyants s’impose parce que le Créateur inclut les animaux dans la totalité de son dessein » [12].