a) Le chien, un compagnon de l’homme
Dans deux passages bibliques seulement le chien a un rôle positif : Ainsi dans le livre de Job (Jb XXX, 1), où il est fait mention du chien de troupeau, et dans le livre de Tobit, « un des joyaux de la littérature juive » [1].
Le héros du récit, le jeune Tobias part pour un long voyage, accompagné par l’ange Raphaël et par son chien : « Le garçon partit, et l’ange avec lui ; le chien aussi partit avec lui et les accompagna » (Tb VI, 1). Le père de Tobias, Tobie, un juif pieux et fidèle, déporté à Ninive, envoie son fils récupérer une somme d’argent qui lui revient. Etant aveugle, il ne peut accompagner son propre fils et l’envoie sans le savoir avec l’ange Raphaël qui connaît le chemin. Mais les deux ne partent pas seul, car un chien fidèle les suivra du début (Tb VI,1) à la fin du voyage (Tb XI, 4c). On laisse imaginer au lecteur la joie du père qui retrouve le chien de son fils, retourné en premier pour annoncer l’arrivée de Tobie et de Raphaël. Le chien est signe du retour du fils bien-aimé. Il anticipe les retrouvailles entre le père et le fils, devenant ainsi facteur de joie, une joie probablement indescriptible [2].
La TOB explique en note que la mention dans ce contexte du chien est « inattendue », cette caractéristique permettant de situer géographiquement le récit hors de la Palestine, car à cette époque biblique « on ne connaissait guère le chien domestique » [3] en Palestine. A la fin du livre de Tobit, on rappelle au lecteur, au cas où il l’aurait oublié, la présence du chien toujours fidèle qui suit son maître et l’ange : « Le chien suivit derrière eux » (TbXI,4) . Certains auteurs, tel Brunet, disqualifie l’exemple de Tobit, car ce livre, rédigé à la basse époque, « n’est pas reconnu de tous, et n’appartient qu’à un courant juif marginal » et par conséquent n’est pas représentatif de l’esprit juif !
De ce qui précède, nous pouvons retenir les observations suivantes : Si on utilise le mot chien à l’égard d’une personne, c’est toujours négatif. Etre traité de chien ou comparé à un chien est une injure. « Suis-je un chien pour que tu viennes à moi armé de bâtons ? » (I S 17,43) est la réponse de Goliath, le Philistin à l’égard de David. Quant à être décrit de « tête de chien judéen » (II S 3,8), le rabaissement, l’humiliation et le mépris en sont synonymes. Dans la littérature mésopotamienne, le terme kalbu, désignant un chiot, est aussi souvent utilisé négativement, ainsi dans des métaphores, tel « mendier comme un chien », « se mettre à quatre pattes comme un chien », « mourir comme un chien » [4]. Devoir « mourir comme un chien » symbolise en Mésopotamie la pire des hontes. Dans ce sens, le Midrash rapporte que Goliath est mort comme un chien [5].
David tuant goliath par Danièle Da Volterra
musée national du château de Fontainebleau
En conclusion, il est intéressant de souligner la multiplicité et la diversité des occurrences du mot kèlèb dans l’Ancien Testament. Au mieux, le chien est un outil de par sa fonction de gardien de troupeau (Jb), d’accompagnateur (Tb) voire surtout d’éboueur et de charognard (I R, II R), au pire, il représente et symbolise tout ce qui existe de plus vil et méprisable sur la terre !
B) Dans la Tradition juive
« On dit qu’un ange apparut à un sage talmudique qui jeûnait et priait pour que les chiens aient le droit de chanter les louanges de l’Eternel ; l’ange lui expliqua que son jeûne était inutile car les chiens jouissaient de la faveur divine depuis l’Exode, pour s’être gardés d’aboyer quand les Hébreux fuyaient l’Egypte à la faveur de la nuit » [6].
Même si le chien est souvent mentionné dans la Tradition juive, il n’en occupe pas pour autant une grande place. Le chant très populaire du Had Gadya évoque dans sa dernière strophe aux côtés du bœuf, du chat et de l’agneau, le chien. Dans ce chant, datant du XV°s. et souvent repris lors du seder, chaque animal représente un peuple et donc un moment de l’histoire d’Israël. L’idée centrale développée par ce chant est tirée d’un verset de Qohéleth (Qo V, 7) « au-dessus d’un grand personnage, veille un autre grand, et au-dessus d’eux, il y a encore des grands… ». Le terme « grand » a été compris par la tradition juive comme signifiant une grande puissance. Si l’Assyrie est représentée par le chat, l’agneau représente Israël et le chien la Babylonie [7] : « Et vient le chien qui mord le chat qui avait dévoré l’agneau que mon père avait acheté pour deux sous ».
Le Talmud mentionne également à plusieurs reprises le chien, mais à nouveau, dans un contexte généralement négatif. Comme l’écrit Toperoff, le Talmud tout comme le Midrash qui suit en ce sens l’esprit biblique, observe à l’égard du chien, une ambivalence et oscille entre le « uncomplimentary » et le « complimentary remarks » [8]. Ainsi tout juif se méfiera du chien car celui-ci peut facilement être possédé par des esprits mauvais. Les chiens, dit le Talmud [9], forment une proie facile pour les démons et par conséquent sont « spécialement exposés » à leurs maléfices ! « On dit cinq choses d’un chien enragé : Sa gueule est béante, sa salive coule… D’où vient sa maladie ? Un rabbin l’attribuait aux sorciers qui se jouent de lui ; d’autres estimaient qu’il avait en lui un démon. Comment se comporter d’après l’un ou l’autre point de vue ? « L’animal doit être tué par un projectile » [10].
Le traité du Temoura rappelle en citant la Torah (Dt 23,19) qu’il demeure interdit de sacrifier un animal cachère reçu en échange de la vente d’un chien [11]. Si on juxtapose cette remarque avec celle qui, toujours selon la Torah, interdit d’offrir en sacrifice un animal qui a été donné à une prostituée en paiement de ses services, on décèle aisément la touche dépréciative du chien.
Le traité du Pessahim quant à lui, rapporte que le chien fouille les décombres [12], mord sans briser les os (Pes. 49b) et mange du pain moisi plus valable pour la consommation humaine (Pes. 15b, 43a). Concernant le traité du ‘Halla dont l’exposé principal est l’offrande de la pâte, prélevée à partir du pétrin pour le remettre au prêtre, on rappelle que la pâte destinée aux chiens est aussi soumise, au même titre que la pâte à pain du boulanger, au prélèvement de la ‘Halla « lorsque les bergers en mangent également » [13].
La littérature rabbinique n’est cependant pas que négative à l’égard du chien même si des auteurs comme H. Strack et P. Billerbeck résument la situation du chien dans le Talmud et dans le Midrash en rappelant que malgré son utilité et sa fidélité, il y est vu comme « das verachtetste, frechste und elendeste Geschöpf » [14]. La littérature rabbinique reconnaît par exemple la fidélité du chien pour son maître. Selon le commentaire rabbinique de Gn IV, 15, le Seigneur offrit à Caïn, qui venait de tuer Abel, comme protection et comme compagnon, un chien.
La réprobation de Caïn après la mort d’Abel
Noël Coypel – Musée du Louvre - Paris
De même les commentaires rabbiniques affirment que, si le chien peut manger de la viande impure (Dt XXII, 30), malgré son interdiction, c’est parce que le Seigneur a voulu récompenser tous les chiens de ne pas avoir aboyé la nuit du départ des Juifs pour la Terre promise (Ex XI, 7 : « Mais chez tous les fils d’Israël, pas un chien ne grognera contre homme ou bête… ») [15].
Un autre récit célèbre, qui reconnaît le dévouement exemplaire du chien pour son maître -allant même jusqu’à la mort-, est celui qui raconte comment un chien sauva des bergers de mouton du poison d’un serpent. Un serpent avait infecté, durant l’absence des bergers, le lait caillé que les bergers voulaient prendre pour repas. Le chien « which had witnesses the act, began to bark when his masters, on their return, proceeded to eat it ; but they would not heed his voice of warning. So he hastened to eat it all up and fell down dead, having thus saved his masters’lives » [16]. Après avoir compris ce qui leur avait été épargné, en guise de reconnaissance, les bergers érigèrent un monument à la mémoire du chien : « They erected a monument over its grave and called it nafsha d’kalba, the dog’s monument » [17].
« Que l’âme de Balak désirait un lieu de repos ! Mais partout où il allait, son destin l’accompagnait. Ici on lui montrait un bâton, et là on lui jetait des pierres. Ici on lui lançait des termes de mépris dont même un porc aurait eu honte (…) En ces jours-là, Balak découvrit un lieu (…) Il y trouva à manger, et peut-être mieux qu’ailleurs, car, outre les os, il eut de la vraie viande. Comment cela ? Parfois, un Juif y venait manger, et pas seulement pendant les neufs jours d’Ab. Soudain apparut un autre Juif qui avait honte de manger de la viande non cachère. Il jeta la viande sous la table, Balak vint la dérober et la manger » [18].
Progressivement, et contrairement à ce que l’on pourrait attendre vu l’impopularité du chien dans les livres de la Torah, le chien devient un animal domestique apprécié par les Juifs. « In the course of time a certain affection for the dog seems to have been developed among the Jews » [19]. Qui d’autre qu’un écrivain peut au mieux le démontrer ? Citons donc Samuel Agnon, premier lauréat israélien du Prix Nobel de la littérature (1966), dont l’œuvre est l’« une des plus représentatives de la littérature hébraïque moderne » [20]. Il publia en 1946 un roman portant le titre : Le chien Balak. Il y décrit le personnage d’un petit chien, véritable héros intelligent de ce roman. Balak, tour à tour conscience de personnages humains et symbole du peuple juif (!), observe même certains traits de caractère fréquents chez le Juif persécuté et chez le Juif moyen [21].
Ainsi un des acteurs du roman peindra-t-il sur le dos du chien Balak les mots : « chien fou », rappelant par là l’étoile jaune imposée aux juifs par Hitler. Balak doit fuir. « Au début quand Balak habitait parmi les Juifs, il était fanatiquement attaché aux connaissances de ses ancêtres : il croyait, comme tout Jérusalem, que la pluie ne vient que grâce à ceux qui sonnent le schofar (…). Depuis le jour où Balak avait fui son logis, il perdit la foi de ses ancêtres ; il nia la force des créatures humaines et discuta contre ceux qui prétendent que tout ce qui a été créé dans le monde ne l’a été que pour les hommes. Balak répétait : « C’est assez pour l’homme d’être comme le chien et comme toutes les créatures » [22].
Pour conclure cette partie résolument moderne, relevons que depuis 1953, une nouvelle race de chien issu d’Israël, le Canaan, a été officiellement reconnue ! Depuis ce chien très populaire en Israël en est devenu chien national ! Le chien de Canaan ou Kelev-K’naani en hébreu, faisant partie de la famille des Spitz, est né dans le sud d’Israël de la volonté de la part de la Haganah (=Force de défense juive luttant pour la libération d’Israël) d’avoir des chiens de travail. Il trouve ses ancêtres parmi les chiens qui accompagnaient les Hébreux lors de l’exode égyptien conduit par Moïse [23]. A l’origine, ceux-ci vivaient dans des meutes dans le désert du Néguev et ils suivaient les tribus de bédouins. De ses ancêtres, le Canaan a hérité une certaine « réserve au premier contact », voire même une certaine méfiance envers l’homme et les animaux, mais sans agressivité. La boucle ayant commencé avec les chiens Pariahs se referme étonnamment avec cette nouvelle race, le Canaan !