Texte recueilli sur le Blog du prètre Robert Culat
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Les animaux sont cités 24 fois dans l’encyclique, soit de manière générale (les animaux [1], les espèces animales [2], les autres êtres vivants [3], les autres créatures [4], tous les êtres de cette terre [5], la vie sous toutes ses formes [6]), soit de manière spécifique (les oiseaux [7], les insectes [8]). Après le nom générique d’animaux et à égalité avec lui le pape utilise en priorité celui de créature(s). C’est donc en tant que créatures voulues par Dieu qu’il considère les animaux. Seul le chapitre 5 (Quelques lignes d’orientation et d’action) ne mentionne pas les animaux.
L’encyclique remet tout d’abord en cause une fausse interprétation de l’anthropocentrisme. Le pape parle carrément d’un « anthropocentrisme déviant » (n°69) qui est à l’origine de la maltraitance des animaux par l’homme. En citant des passages de la Loi de Moïse (Deutéronome 22, 4.6 et Exode 23,12 [9]), il n’hésite pas à condamner « un anthropocentrisme despotique » incompatible avec le message biblique :
« La Bible ne donne pas lieu à un anthropocentrisme despotique qui se désintéresserait des autres créatures » (n°68).
Au n°83 le pape François réaffirme cette thèse à la lumière de la révélation chrétienne dans le Nouveau Testament :
« L’aboutissement de la marche de l’univers se trouve dans la plénitude de Dieu, qui a été atteinte par le Christ ressuscité, axe de la maturation universelle. Nous ajoutons ainsi un argument de plus pour rejeter toute domination despotique et irresponsable de l’être humain sur les autres créatures ».
La différence que Dieu a voulue entre les hommes et les animaux ne doit pas faire naître dans le cœur de l’homme un sentiment d’orgueil le conduisant à mépriser le reste de la création :
« Quand nous insistons pour dire que l’être humain est image de Dieu, cela ne doit pas nous porter à oublier que chaque créature a une fonction et qu’aucune n’est superflue » (n°84).
La thèse essentielle de l’encyclique à propos des animaux consiste à affirmer avec insistance leur valeur en tant que créatures de Dieu :
« Il ne suffit pas de penser aux différentes espèces seulement comme à d’éventuelles ‘ressources’ exploitables, en oubliant qu’elles ont une valeur en elles-mêmes » (n°33).
« En même temps que nous pouvons faire un usage responsable des choses, nous sommes appelés à reconnaître que les autres êtres vivants ont une valeur propre devant Dieu et ‘par leur simple existence ils le bénissent et lui rendent gloire’, puisque ‘le Seigneur se réjouit en ses œuvres’ (Ps 104, 31) » (n°69).
« Aujourd’hui, l’Eglise ne dit pas seulement que les autres créatures sont complètement subordonnées au bien de l’homme, comme si elles n’avaient aucune valeur en elles-mêmes et que nous pouvions en disposer à volonté » (n°69).
En affirmant à trois reprises la valeur que les animaux ont en eux-mêmes au sein de la création, le pape réfute une vision exclusivement utilitariste des espèces animales. Elles n’existent pas seulement pour être au service de l’homme et l’homme n’est pas libre d’en faire ce qu’il veut en fonction de ses intérêts immédiats et égoïstes.
Contre la tradition philosophique issue de Descartes et de Malebranche, l’encyclique rappelle une évidence qui n’aurait jamais dû être oubliée dans le contexte de la foi en Dieu, créateur de tous les êtres vivants :
« Il serait aussi erroné de penser que les autres êtres vivants doivent être considérés comme de purs objets, soumis à la domination humaine arbitraire » (n°82).
Non seulement les animaux ne sont pas des objets privés de valeur objective, mais encore ils n’ont pas été créés d’abord pour l’homme. Au n°83 le pape énonce une thèse qui me semble d’une importance extrême dans le cadre d’une vision chrétienne des rapports entre humains et animaux :
« La fin ultime des autres créatures, ce n’est pas nous. Mais elles avancent toutes, avec nous et par nous, jusqu’au terme commun qui est Dieu, dans une plénitude transcendante où le Christ ressuscité embrasse et illumine tout ; car l’être humain, doué d’intelligence et d’amour, attiré par la plénitude du Christ, est appelé à reconduire toutes les créatures à leur créateur ».
La vocation de l’homme, et en particulier du chrétien, vis-à-vis des autres créatures ne consiste pas à être un despote violent et irresponsable. L’homme est au contraire présenté comme le prêtre de l’univers, celui par lequel et avec lequel, toutes les autres créatures pourront atteindre leur propre fin en Dieu. Cela rejoint ce que le pape dit de saint François dans son introduction à l’encyclique :
« Tout comme cela arrive quand nous tombons amoureux d’une personne, chaque fois que saint François d’Assise regardait le soleil, la lune ou les animaux même les plus petits, sa réaction était de chanter, en incorporant dans sa louange les autres créatures » (n°11).
Nous retrouvons cette belle idée de l’homme prêtre de l’univers dans la « prière chrétienne avec la création » à la fin de l’encyclique :
« Dieu d’amour, montre-nous notre place dans ce monde comme instruments de ton affection pour tous les êtres de cette terre, parce qu’aucun n’est oublié de toi » (n°246).
Nous avons vu que la fin ultime des autres créatures, ce n’est pas l’homme mais le Créateur. Le pape développe la thèse selon laquelle il y aura aussi « une place » au paradis, dans le Royaume de Dieu pour les autres créatures. La résurrection du Christ n’apporte pas seulement le salut aux hommes. Elle est le commencement d’une création nouvelle dans laquelle chaque créature aura sa place :
« Les créatures de ce monde ne se présentent plus à nous comme une réalité purement naturelle, parce que le Ressuscité les enveloppe mystérieusement et les oriente vers un destin de plénitude. Même les fleurs des champs et les oiseaux qu’émerveillé il a contemplé de ses yeux humains [10] sont maintenant remplis de sa présence lumineuse » (n°100).
Oui, même les oiseaux portent en eux la présence lumineuse du Christ depuis le jour de Pâques ! Et les animaux comme les autres créatures participeront à leur manière à la vie éternelle !
« La vie éternelle sera un émerveillement partagé, où chaque créature, transformée d’une manière lumineuse, occupera sa place et aura quelque chose à apporter aux pauvres définitivement libérés » (n°243).
C’est bien parce que chaque créature a sa valeur propre et sa fonction sur cette terre que le pape s’inquiète à de nombreuses reprises de la disparition de certaines espèces animales [11]. Les changements du climat n’affectent pas seulement les hommes mais aussi les animaux (n°25). La perte de biodiversité est due à de multiples facteurs dont certains sont cités par l’encyclique : les agro-toxiques (les pesticides, n°34), la surexploitation commerciale de certaines espèces (on peut penser concrètement à la surpêche, n°35), le commerce de peaux d’animaux en voie d’extinction (n°123) etc. Au n°89 le pape utilise une expression particulièrement forte pour caractériser la perte que peut représenter l’extinction d’une espèce animale :
« Je veux rappeler que ‘Dieu nous a unis si étroitement au monde qui nous entoure, que la désertification du sol est comme une maladie pour chacun et nous pouvons nous lamenter sur l’extinction d’une espèce comme si elle était une mutilation’ ».
L’homme ne peut rester indifférent ni passif face à cette perte de biodiversité tout simplement parce qu’il en est le premier responsable, et d’une certaine manière la première victime, même s’il n’en a pas conscience :
« Chaque année disparaissent des milliers d’espèces végétales et animales que nous ne pourrons plus connaître, que nos enfants ne pourront pas voir, perdues pour toujours. L’immense majorité disparaît pour des raisons qui tiennent à une action humaine. A cause de nous, des milliers d’espèces ne rendront plus gloire à Dieu par leur existence et ne pourront plus nous communiquer leur propre message. Nous n’en avons pas le droit » (n°33).
La disparition de certaines espèces animales constitue donc un appauvrissement de la création divine, une véritable mutilation pour les hommes. Les animaux, de par leur simple existence, rendent gloire à Dieu et nous délivrent un message. Eux, qui ne sont pas dotés comme nous de la parole, nous parlent cependant à leur manière et nous n’avons pas le droit de les condamner au silence, nous privant ainsi nous-mêmes de leur témoignage. Le pape suggère que leur message est important en condamnant notre irresponsabilité vis-à-vis d’eux. Cette conviction, il la réaffirme plus loin dans l’encyclique :
« Diverses convictions de notre foi développées au début de cette encyclique aident à enrichir le sens de cette conversion, comme la conscience que chaque créature reflète quelque chose de Dieu et a un message à nous enseigner » (n°221).
Quel est donc ce message ?
« Tout l’univers matériel est un langage de l’amour de Dieu, de sa tendresse démesurée envers nous. Le sol, l’eau, les montagnes, tout est caresse de Dieu » (n°84).
« Dieu a écrit un beau livre ‘dont les lettres sont représentées par la multitude des créatures présentes dans l’univers’. Les évêques du Canada ont souligné à juste titre qu’aucune créature ne reste en dehors de cette manifestation de Dieu » (n°85).
Dans le deuxième chapitre (n°90.91), le pape François exprime une crainte : que certains militants de la cause animale manquent de cohérence en se désintéressant du sort des hommes.
« Parfois […] il se mène une lutte en faveur d’autres espèces que nous n’engageons pas pour défendre l’égale dignité entre les êtres humains » (n°90).
« L’incohérence est évidente de la part de celui qui lutte contre le trafic d’animaux en voie d’extinction, mais qui reste complètement indifférent face à la traite des personnes, se désintéresse des pauvres, ou s’emploie à détruire un autre être humain qui lui déplaît » (n°91).
L’écologie intégrale défendue par le pape unit la cause des hommes et celle de la nature :
« Le sentiment d’union intime avec les autres êtres de la nature ne peut pas être réel si en même temps il n’y a pas dans le cœur de la tendresse, de la compassion et de la préoccupation pour les autres êtres humains. […] Il faut donc une préoccupation pour l’environnement unie à un amour sincère envers les êtres humains, et à un engagement constant pour les problèmes de société » (n°91).
Pourquoi le pape insiste-t-il tant sur l’union de l’amour pour les animaux et de l’amour pour les hommes (« en même temps ») ? Parce que, comme il ne cesse de le répéter tout au long de son encyclique, « tout est lié [12] »
Au chapitre troisième (La racine humaine de la crise écologique), l’encyclique aborde le thème sensible des expérimentations animales. Le pape admet, en citant le Catéchisme de l’Eglise catholique [13], qu’elles peuvent être légitimes dans certains cas. Le même Catéchisme est à nouveau cité pour rappeler qu’ « il est contraire à la dignité humaine de faire souffrir inutilement les animaux et de gaspiller leurs vies [14] ». La formulation du Catéchisme pose un problème de par son manque de précision. Que signifie dans ce contexte l’adverbe « inutilement », et quelle est l’autorité morale qui va déterminer quels sont les cas concrets dans lesquels la souffrance infligée par l’homme à des animaux est utile ?
Regardons maintenant les passages de l’encyclique qui traitent du type de relation que l’homme doit avoir (ou ne pas avoir) avec les créatures animales. Tout d’abord il y a la référence à Luc 12, 6 :
« Quand on lit dans l’Evangile que Jésus parle des oiseaux, et dit qu’aucun d’eux n’est oublié au regard de Dieu, pourra-t-on encore les maltraiter ou leur faire du mal ? » (n°221).
La réponse à cette interrogation rhétorique est évidente : l’homme n’a pas le droit de maltraiter ou de faire du mal aux animaux car ils sont des créatures de Dieu et l’amour divin s’étend aussi à eux. Dans sa tendresse et sa providence le Créateur n’est pas indifférent aux animaux. Lorsque le pape parle de l’éducation à la responsabilité environnementale, il mentionne l’exigence de « traiter avec attention les autres êtres vivants » (n°211). Un homme qui maltraite les animaux risque fort de maltraiter aussi ses frères humains :
« Il est vrai aussi que l’indifférence ou la cruauté envers les autres créatures de ce monde finissent toujours par s’étendre, d’une manière ou d’une autre, au traitement que nous réservons aux autres êtres humains. Le cœur est unique, et la même misère qui nous porte à maltraiter un animal ne tarde pas à se manifester dans la relation avec les autres personnes. Toute cruauté sur une quelconque créature est contraire à la dignité humaine » (n°92).
Dans le contexte de l’écologie intégrale développée par le pape François, on pourra regretter certains manques ou certaines omissions : l’encyclique ne mentionne pas le problème de la surconsommation de viande, le scandale de l’élevage industriel des animaux (et donc des abattoirs) et l’option végétarienne. Du moins pas de manière explicite…
« Une écologie intégrale est aussi faite de simples gestes quotidiens par lesquels nous rompons la logique de la violence, de l’exploitation, de l’égoïsme. En attendant, le monde de la consommation exacerbée est en même temps le monde du mauvais traitement de la vie sous toutes ses formes » (n°230).
L’élevage industriel des animaux, en particulier celui des vaches laitières, des poulets et des poules pondeuses, des porcs et des lapins, n’est-il pas l’une des expressions les plus horribles de cette logique dénoncée par le pape ? Violence, exploitation et égoïsme. La surconsommation de viande (« la consommation exacerbée ») est en effet inséparable du mauvais traitement infligée à des millions d’animaux considérés comme de simples objets, sources de rendement économique maximal (« mauvais traitement de la vie sous toutes ses formes »).
Au terme de ce parcours je voudrais citer deux passages du chapitre sixième (éducation et spiritualité écologiques) qui me semblent particulièrement significatifs dans le contexte du juste rapport que nous devons entretenir avec les autres êtres vivants sur cette planète terre. Tout d’abord la différence maintenue par le pape entre les hommes et les animaux n’implique pas, nous l’avons déjà vu, un anthropocentrisme despotique et irresponsable. C’est le contraire qui est vrai :
« Cette conversion (écologique) implique aussi la conscience amoureuse de ne pas être déconnecté des autres créatures, de former avec les autres êtres de l’univers une belle communion universelle. […] Le croyant ne comprend pas sa supériorité comme motif de gloire personnelle ou de domination irresponsable, mais comme une capacité différente, lui imposant à son tour une grave responsabilité qui naît de sa foi » (n°220).
La logique de l’exploitation violente et égoïste des animaux doit donc laisser la place à la fraternité entre toutes les créatures :
« J’invite tous les chrétiens à expliciter cette dimension de leur conversion, en permettant que la force et la lumière de la grâce reçue s’étendent aussi à leur relation avec les autres créatures ainsi qu’avec le monde qui les entoure, et suscitent cette fraternité sublime avec toute la création, que saint François d’Assise a vécue d’une manière si lumineuse » (n°221).