Charles Wackenheim
Prêtre théologien
paru dans le Journal La Croix. Libre Opinion
Par l´amour qu´ils inspirent et par la fidélité dont ils font preuve, les animaux domestiques enseignent aux hommes des vertus qui leur manquent trop souvent.
Diane, ma chienne est morte. Doucement, discrètement, sans vouloir déranger. Comme elle était venue il y a onze ans. Le vétérinaire venait de découvrir un mal sournois, qui, si l´animal avait vécu plus longtemps, lui aurait probablement imposé un terrible calvaire.
Les animaux ont-ils une âme ? Peut-on les dire immortels ? La promesse d’une résurrection et d’une nouvelle création les concerne-t-elle au même titre que les humains ? Certes, la Bible place l’homme au centre et au sommet de l’univers, mais c’est pour confier au genre humain la gérance responsable de la création. L´homme ne mérite sa position privilégiée que dans la mesure où il exerce cette mission qui l’associe au Créateur et que le poème de la création applique au monde animal au point d’exclure les bêtes de l’alimentation humaine (Gn 1 ,29).
La mort d´un animal domestique, et le travail de deuil qui en découle pour l´homme, confère à la grande fresque biblique un contenu saisissant. Pour ma part, je me suis efforcé d´offrir à Diane une existence libre et heureuse. L´équité et la gratitude me poussent à dire aujourd´hui tout ce que je dois à cette partenaire que j´avais accueillie d´emblée comme un don de Dieu et dont je crois qu´elle est à jamais dans la main paternelle du Créateur.
« Partenaire », car j´ai fait avec cette bête l´expérience d´une authentique vie relationnelle. Relation par trop inégale ? Il me semble, au contraire, qu´une telle attitude nous dispose à prêter attention à l´autre, à le servir le premier, à tenir compte de ses difficultés et à pratiquer un partage désintéressé. Diane, en tout cas, me considérait, moi, comme une personne. Elle venait me dire bonjour tous les matins et elle se levait pour me saluer chaque fois que je rentrais à la maison. Ses émotions et ses sentiments s´affichaient sans la moindre duplicité. En vrai berger allemand, elle vouait à son maître un attachement jaloux. L´œil et l´oreille sans cesse aux aguets. D´humeur toujours égale (ce qui n´est pas mon cas), elle ignorait la rancune et le ressentiment.
Je me disais souvent que si les relations entre humains réunissaient l´ensemble (ou une partie seulement) de ces qualités, les problèmes dans lesquels nous nous débattons seraient sans doute moins désespérants. Quant à la résurrection des morts, à laquelle nous croyons en tant que chrétiens, peut-on la concevoir autrement qu´en termes relationnels ? Comment ne pas espérer que les animaux qui auront contribué à façonner notre tissu relationnel auront part eux aussi, et à leur manière, au sort qui nous est promis ?
Par la brièveté même de sa vie, l´animal nous rappelle tous les jours notre condition mortelle et la fragilité – en même temps que le prix – de tout ce qui vit. Il remet chacun à la place que lui assigne l´ordre de la création : moi, un individu parmi des milliards d´autres, mammifère au milieu d´innombrables familles de vivants, jetés dans un univers énigmatique. Espiègle, joueur, infatigable, il dégonfle bien des baudruches et réussit à dérider les visages les plus sombres. Une mystérieuse complicité lie ainsi les animaux aux enfants.
En langage franciscain, Diane m´est toujours apparue comme une petite sœur qui attendait beaucoup de son frère mais qui, mine de rien, lui enseignait en retour des vertus aussi fondamentales que la patience, la fidélité et l´espérance.
Durant onze longues années, ma chienne fut un modèle de patience. Elle a même passé le plus clair de son temps à m´attendre. Qui d´entre nous est capable d´attendre avec une telle constance l´arrivée d´un être cher, la conversion d´un ami égaré ou la lente maturation d´une décision importante ? Qui dit patience dit fidélité. Celle des chiens ne nous renvoie-elle pas à notre propre difficulté à établir une relation fidèle ?
Par-dessus tout, je rends grâce à Dieu, d´avoir, en compagnie de Diane, mieux compris ce qu´est l´espérance. L´affection et le dévouement d´une bête nous autorisent à espérer que les hommes cesseront enfin d´exploiter, de maltraiter et de torturer les animaux ; espérer que nous reconnaîtrons de mieux en mieux dans la riche diversité du monde animal un message de générosité et de paix de la part du Créateur ; espérer que les générations à venir sauront respecter en vérité le superbe jardin que Dieu nous confie et subordonner la loi « naturelle » du prédateur à la dynamique divino-humaine de la charité.
La création est une, et la fabuleuse aventure de la vie rend tous les vivants solidaires les uns des autres. Pour le meilleur et pour le pire. Y a-t-il démarche plus humanisante que celle d´une bête qui, dépourvue de tous les instruments de l´avoir et du pouvoir, réussit à rappeler à des humains leur vocation la plus haute ? Tout au long de sa vie, et jusqu´aux portes de la mort, Diane a témoigné d´une simplicité, d´une dignité, voire d´une élégance que beaucoup d´entre nous pourraient lui envier. Ce n´est donc pas la tristesse qui m´envahit au lendemain de son départ. Le vide qu´elle laisse appelle la reconnaissance et l´émerveillement. Il stimule la ferme volonté d´œuvrer pour que fructifie les trésors de tendresse et de compassion déposés par Dieu dans le cœur de ses créatures, à commencer par les plus humbles.