Comment le pape a fait entrer les animaux au paradis... malgré lui

, par Estela Torres

anecdote d’une petite déception des associations de défense des animaux
MARIE-LUCILE KUBACKI publié le 15/12/2014

« On ira tous au paradis, et même les chiens et même les requins... » chantait Michel Polnareff, qui n’aurait sans doute jamais parié sur un « placet » du pape. Et pourtant. Depuis quelques jours, les médias – italiens et américains notamment – s’émeuvent d’une phrase attribuée à François qui semblerait accréditer cette thèse. Le problème ? Il ne l’a tout simplement jamais prononcée... Analyse d’une rumeur (presque) devenue information.

En pleine période de l’Avent, cela résonne comme une belle histoire, un de ces contes de Noël mélancoliques qui vous font monter les larmes aux yeux. Au milieu de la foule place Saint-Pierre, le pape aurait affirmé à un petit garçon triste parce qu’il venait de perdre son petit chien : « Un jour, nous reverrons nos animaux dans l’éternité du Christ. Le Paradis est ouvert à toutes les créatures de Dieu ». Alléluia ! Milou est sauvé, Médor ressuscitera, voici que le Salut est annoncé aux teckels !
Même le très sérieux New York Times a relaté l’épisode et en a livré un récit poignant en première page : « Le Pape François a donné espoir aux homosexuels, aux couples non mariés et aux avocats de la théorie du Big Bang. Et voilà qu’il a réussi à se faire aimer des amoureux des chiens, des activistes des droits des animaux et des végétariens. Lors d’une audience générale au Vatican le mois dernier, le pape, parlant de la vie après la mort, a suggéré que les animaux pourraient aller au Ciel, affirmant que "les saintes Ecritures nous apprennent que l’accomplissement de ce merveilleux dessein concerne aussi tout ce qui nous entoure". »

Grosse émotion dans les rangs de deux des plus grandes associations de défense des animaux : l’Humane Society, aux Etats-Unis, et Peta International. La responsable de l’engagement et de la sensibilisation des chrétiens chez Peta a aussitôt avancé que cette déclaration du Pape pourrait amener les catholiques à renoncer à la viande. Comment, en effet, continuer à manger nos amis les animaux s’ils se révèlent avoir une âme ?
Mieux encore – comme l’a relaté là aussi le New York Times – certains groupes, dont les deux associations, ont applaudi dans cette déclaration « l’abandon de la théologie conservatrice de l’Eglise catholique selon laquelle les animaux ne peuvent accéder au Paradis parce qu’ils n’ont pas d’âmes ». Froncements de sourcils parmi les théologiens. Interrogé par le journal américain, un professeur d’éthique chrétienne explique qu’il faut raison garder et que ce que le pape distille en langage pastoral n’appelle pas nécessairement à dissection académique. Autant, donc, laisser passer la caravane ?
L’histoire ne manque pas de chien mais... elle est fausse. Ou plutôt pas tout à fait vraie. Le site américain, Religion News Service, flairant le piège, a mené de son côté une contre-enquête. Surprise : on découvre ainsi que la phrase « Un jour, nous reverrons nos animaux dans l’éternité du Christ. Le Paradis est ouvert à toutes les créatures de Dieu » a bien été prononcée par un pape. Mais c’était en 1978, et le pontife en question était Paul VI.
Téléphone arabe et effet boule de neige

Mais que s’est-il donc passé ?
Le jour de la fameuse audience, François, parle du Royaume de Dieu et déclare que « comme le rappelle saint Paul, c’est toute la Création qui est appelée à être libérée du mal et de la mort, lorsque Dieu portera toute chose à sa plénitude d’être, de beauté et de vérité ». Alors, un vaticaniste du Corriere della Sera écrit un article sur l’audience générale, dans lequel il rapporte les propos du pape et rappelle que François prépare une encyclique sur l’écologie et la Création. Dans la foulée, il ajoute que la question de savoir si les animaux ont une âme fait débat dans l’Eglise et cite la phrase de Paul VI. Puis, au moment de paraître, son article se voit coiffé du titre : « Le Pape et les animaux : "Le Paradis est ouvert à toutes les créatures" ».

Commence alors l’effet boule de neige du téléphone arabe. Le Huffington Post titre à son tour « Pape François : "Nous irons au Paradis comme les animaux" », et – un Paul pouvant en cacher un autre – ajoute une touche personnelle en attribuant la citation de Paul VI à... saint Paul, l’apôtre.

L’idée fait son chemin et cela donne cette stupéfiante version de l’affaire dans le Daily Mail, dans un article poétiquement intitulé « Le pape François reconnaît avoir bu du lait d’ânesse lorsqu’il était petit » : « Dans son audience hebdomadaire place Saint-Pierre, François a cité l’apôtre Paul en train de réconforter un enfant qui pleurait son chien défunt, explique-t-on dans l’article. "Un jour nous reverrons nos animaux dans l’éternité du Christ", a déclaré François, citant Paul. Et le pape a ajouté : "Le Paradis est ouvert à toutes les créatures de Dieu". » L’article est illustré d’une photo représentant François à côté de deux ânesses qui lui ont été récemment offertes par une entreprise lombarde (cette anecdote étant vraie, pour le coup).

Mais ce n’est pas tout. Pour le journal, quand François, l’ami des ânes et des chiens, affirme que le paradis est ouvert au meilleur ami de l’homme, il prend par là ses distances avec Benoît XVI – qui, il est vrai, n’a jamais caché sa préférence pour les chats – : « Sa position [à François ndlr] est nettement différente de celle de Benoît XVI, qui déclarait que "les animaux ne sont pas appelés à la vie éternelle" ».
Dans la même veine, USA Today enfonce le clou sur le mode Si-le-pape-aime-les-chiens-c’est-qu’il-n’est-pas-conservateur : « Le pape François continue de prouver qu’il n’a rien de traditionnel ». La proximité avec le chien montre l’avant-garde... Voilà comment une simple erreur de lecture initiale est devenu un argument idéologique.

Des conclusions tirées par les poils

Le New York Times a depuis rectifié son article : « Une version précédente de cet article a rapporté de manière erronée les circonstances dans lesquelles le Pape François a fait ces remarques. Il les a faites lors d’une audience générale au Vatican et non en consolant un petit garçon éploré par la mort de son chien. L’article fait également erreur quant aux propos rapportés de François. » En résumé : l’événement n’a pas eu lieu et la phrase n’a pas été prononcée. Rien de grave, en somme.
Rectification faite, il paraît donc un peu tiré par les poils de conclure de cette histoire que François et Benoît XVI sont comme chien et chat. Ou, comme le note humoristiquement le site parodique Eye of the Tiber que « Le pape François confirme que les chats iront en enfer ».

Que pense le pape François de tout cela ? S’il n’a pas officiellement réagi à cet emballement, le hasard fait qu’il s’exprimait lundi 15 décembre devant les dirigeants et salariés de la chaîne catholique italienne TV2000. Et il les a mis en garde contre les « péchés des médias » que seraient selon lui : « la désinformation, la calomnie et la diffamation ». Et de préciser : « La désinformation, en particulier, pousse à dire la moitié des choses, et cela ne mène pas à se faire un jugement précis de la réalité. » Toute ressemblance avec des personnes ou des situations existantes ou ayant existé ne saurait être que fortuite, évidemment.