XIII. 2 : Le Christianisme d’aujourd’hui et de demain face aux animaux
« Messe dominicale et vie des animaux, même combat ! Deux institutions du petit écran qu’il serait imprudent de retirer de l’antenne. Véritable religion dont les adeptes se font de plus en plus nombreux, les émissions TV sur les animaux réveillent le rêve, l’insolite ou la révolte qui sommeille en chaque spectateur. Les sondages du ministère de la Culture confirment l’engouement. 84 % des téléspectateurs regardent les émissions sur la nature ou les animaux » [1].
La Sainte Famille à l’Oiselet
Murillo (1618-1682) Musée du Prado - Madrid
En ce XX° et XXI° siècles, déjà bien amorcés au niveau d’un "renouveau glorieux" [2] du statut du chien avec l’ère victorienne, le chien, représentant ici de la gent animale, trouve sa place dans les foyers comme un membre à part entière. Rares sont les présidents français voire américains qui, à l’exemple de la reine Victoria [3] au milieu du XIX°s., ne se laissent pas au moins une fois représenter accompagnés par leurs chiens ! [4]
On retrouve donc le chien sur la photo de famille et la plupart du temps, malgré les problèmes et les inconvénients, il part avec toute la famille en vacances. La théologie qui se préoccupe aussi du confort et de la vie de tout baptisé, peut-elle ignorer ces faits, ce « Umwandlungsdenken » ?
La théologie animale est un vaste sujet encore quasiment inexploitée par la théologie traditionnelle. La théologie sur l’ange et le sexe des anges a fait couler plus d’encre que nos humbles frères, les animaux ! Comme nous le disions au sujet de la Création, la théologie animale remplirait un manque des plus criants, bien qu’inacceptable pour de nombreuses personnes s’inscrivant dans la théologie classique -qu’elle soit d’orientation dominicaine ou franciscaine.
Ainsi même l’école franciscaine n’a pas su exploiter ce filon de l’amour total exprimé par son fondateur pour tous les êtres vivants, animaux compris [5]. Et pourtant saint François témoigna par son exemple, resté par ailleurs marginal dans l’Eglise, qu’il n’y avait pas de coupure radicale entre les hommes et les autres créatures. « Certes les hommes y sont l’objet d’un amour de prédilection ; mais cet amour des hommes s’insère lui-même dans une immense piété cosmique qui rend amies toutes les créatures. François ne fraternise pas seulement avec ses semblables, mais avec toutes les créatures » [6]. L’Eglise n’a pas su reprendre cet héritage. Il est donc normal que les défenseurs des animaux ainsi que les sociétés de protection des animaux se sentent délaissés dans leur combat par l’Eglise ! A quand une condamnation ferme de la hiérarchie et donc du pape sur les corridas, combats des coqs et autres traditions scandaleuses ? [7]
Le manque d’engagement de l’Eglise catholique dans le combat des droits des animaux s’illustre à travers de nombreux exemples. Ainsi lors de la création des SPA (= Sociétés Protectrices des Animaux) en France et en Angleterre au milieu du XIX°s., l’investissement de l’Eglise catholique est plus que timide et quasi inexistant. Elle ne soutient guère la “croisade des défenseurs des animaux” lors de l’ouverture de la première SPA en France en 1845 [8]. Pour preuve, citons l’effectif des clercs engagés comme membres de la SPA qui constitue une minuscule présence parmi les membres (0,95% en 1857, et 1,30% en 1869) et qui reste considérablement inférieur à celui des instituteurs ou des médecins [9]. Pour l’historien Baratay, ce cas de figure est synonyme « d’échec patent » [10], lui-même provoqué par une méfiance des clercs et de la hiérarchie vis-à-vis de mouvements créés en dehors de l’Eglise. L’Eglise catholique qui depuis la réforme tridentine amorce une distanciation de plus en plus forte à l’égard de la Création [11], se méfie de toutes influences venant de la nature, des animaux et de la matière. L’Eglise a peur d’une trop grande proximité de la part des clercs, mais également de la part des laïcs, avec les bêtes, celles-ci pouvant faire oublier Dieu et la religion ! D’ailleurs l’idée des droits des animaux, notion apparue vers la fin du XIX°s., est née dans un milieu non-confessionnel [12].
Eric BARATAY
Et l’homme créa l’animal. Histoire d’une condition, Paris, Odile Jacob, 2003, 376 p.
L’Eglise et l’animal (France, XVIIe-XXe siècle), Paris, Cerf, 1996.
La corrida, Paris, PUF, 1995, en collaboration, traduit en japonais.
L’animal domestique, XVIe-XXe siècle, numéro spécial des Cahiers d’histoire, 1997, n° 3-4.
L’animal en politique, Paris, L’Harmattan, 2003, 384 pages
Plutôt que « les théologies de la mort de Dieu, de la libération, de la révolution, toutes insuffisantes, voire étouffantes, par leur commun anthropocentrisme, à quand une vraie théologie révolutionnaire, libératrice, salvatrice, affirmatrice de l’Etre et de la Vie : la théologie de la Création, la théologie de la Présence suprême dans toute la hiérarchie du créé ? » [13]. Le Christ n’a-t-il pas dit dans les Béatitudes “heureux ceux qui font oeuvre de paix : ils seront appelés fils de Dieu” (Mt 5, 9), n’est-ce pas là aussi une demande de paix entre les hommes et les autres créatures ? Dieu aimant tous les êtres (Sg 11, 24) il est temps que la théologie comble « une lacune millénaire dans la perception des conséquences pratiques du message évangélique » [14].
Michel Serres l’a entrevu ainsi lorsque dans son livre, Le contrat naturel, il exige de l’homme qu’il doit aimer ses « deux pères, naturel et humain, le sol et le prochain ; aimer l’humanité, notre mère humaine, et notre naturel père, la Terre ». Serres, tout comme Schopenhauer un siècle plus tôt, condamne « l’hypocrisie fréquente des moralistes qui restreignent la loi aux hommes » et se disent « aimer la Terre entière tout en saccageant le paysage alentour » [15]. Dans cette critique acerbe, il nous faut cependant distinguer entre l’Eglise catholique et l’Eglise protestante. Si l’Eglise catholique à travers sa riche tradition connaît depuis plusieurs siècles des célébrations avec des animaux de même que des bénédictions d’animaux [16], cette longueur d’avance semble s’être complètement estomper par rapport à l’Eglise protestante. En effet c’est bien plutôt cette dernière qui au niveau du christianisme a permis une nouvelle réflexion et une meilleure prise en compte de l’animal.
Au niveau catholique, Monseigneur Bruguès [17], ancien professeur de morale, rappelle dans son Dictionnaire de Morale catholique [18] la position classique et séculaire de l’Eglise à l’égard de l’animal. Selon lui l’animal ne saurait avoir des droits -« ceux-ci découlent de la dignité intrinsèque de la personne humaine et exclusivement d’elle » -, et il serait inadéquat pour l’homme de lui accorder de l’affection, du respect « qui ne sont dus qu’aux êtres humains ». En même temps, il estime toutefois que les animaux, « créatures inférieures » peuvent être en toute « légitimité » chassés et mangés ; même la corrida lui paraît moralement recevable puisqu’elle permettrait un « exorcisme de la violence humaine » profitant positivement à l’homme. Bruguès condamne fortement deux « déviations », l’une faisant de l’animal un substitut de l’homme, l’autre faisant souffrir l’animal inutilement. Sans pour autant la condamner fortement, Bruguès met ainsi en question la vivisection en ce qu’elle peut déboucher sur un « plaisir sadique » et l’élevage industriel qui rend les animaux « prisonniers à vie ».
Déjà au XIXe siècle, Arthur Schopenhauer affirmait la carence morale du Christianisme à l’égard de l’animal, morale que le Christianisme considérait même comme un « vice » , ne favorisant en aucune manière la défense de l’animal, laissant seules les sociétés protectrices des animaux évidemment d’origine laïque, défendre l’animal.
Nombreuses sont les personnes qui au XX°s. rejoignent l’avis lancé un siècle plus tôt par Schopenhauer et, en raison de l’inconsidération envers les animaux de la part de l’Eglise, choisissent de se distancer d’elle voire même de la quitter.
Dans cette optique, Marguerite Yourcenar, écrivain français de réputation internationale, avouera lors d’une interview avoir dû choisir étant enfant entre la religion catholique et l’univers, entre « un groupe de dogmes quelconques et tout » .
« Je sentais cela enfant, quand je sortais de l’église et marchais dans les bois… A ce moment-là, ces deux aspects du sacré me paraissaient incompatibles. L’un me semblait beaucoup plus vaste que l’autre : l’Eglise me cachait la forêt » [19].
Pour l’ancien archevêque de Strasbourg, Mgr Brand, il n’y a aucun doute que l’Eglise catholique a sa part de responsabilité, d’ailleurs il l’avoue en rappelant non sans raison que nombreux sont « les baptisés qui déclarent s’être éloignés, voire détournés de l’Eglise, à cause de son désintérêt ou de ses positions jugées défavorables par rapport à la cause des animaux » .
Mgr. Brand, du reste un des rares évêques défenseur de la cause animale, rappelle que si l’Eglise se tait face aux souffrances des animaux et permet -favorise ?- l’exploitation abusive de la nature et du monde animal, elle se rend complice, « ne fût-ce que par (son) silence, de ceux qui font souffrir les animaux » [20].
Avant d’évoquer le nouveau Catéchisme et sa position à l’égard des animaux, arrêtons-nous un instant sur le rituel de bénédiction des animaux [21]. Le début de ce rituel au numéro 721 part d’un constat comme quoi « certains animaux, selon la disposition providentielle du Créateur, participent d’une manière ou d’une autre à la vie des hommes, soit en leur apportant de l’aide pour les travaux, soit même pour leur nourriture ou leur délassement ». Le côté utilitariste de cette introduction est renforcé lorsque les textes proposés pour la bénédiction reprennent l’idée maîtresse de la domination de l’homme à l’égard de l’animal. L’intitulé du passage reprenant la Genèse (Gn I, 20-28) « Soyez les maîtres de tous les animaux » en est la meilleure preuve malheureusement.
LA CREATION DES ANIMAUX
La Bible nous rapporte que Dieu, avant de créer l’Homme, créa les animaux, ceux qui vivent dans l’eau, dans l’air et sur la terre. Sur le 28 différents animaux figurants sur cette image presque tous sont connus. Seuls trois sont du domaine de la mythologie : le dragon ailé, la licorne et le griffon. Extrait du Jardin des Délices, manuscrt du 12è siècle.
Nous ne pouvons passer sous silence dans la conclusion de cette partie le mouvement créationniste chrétien. Les créationnistes expliquent l’origine du monde et de toutes ses créatures par la Bible, en particulier par le récit de la Genèse qu’ils prennent comme livre de référence, livre scientifique. Cette approche fondamentaliste ne peut pas accepter l’idée d’une évolution des espèces et bien sûr encore moins l’idée d’une parenté avec l’animal. Pour un créationniste, les espèces « ont été créées à l’état de perfection, pourquoi auraient-elles à évoluer ? » [22].
La mise au silence pendant de longues années du jésuite Pierre Teilhard de Chardin « un des plus grands paléontologues de ce siècle » démontre la difficulté de l’Eglise catholique à s’adapter aux nouvelles données des sciences.
Les recherches en éthologie, mais aussi en médecine, notamment dans le domaine des xéno transplantations qui voit l’échange de parties constitutives de l’animal à l’homme, dépassent de vitesse les réflexions des théologiens et de la hiérarchie catholique. La barrière des êtres s’estompe au niveau scientifique de plus en plus. Or si l’Homme descendait du singe [23] ou, disons le plus justement, était un proche parent du singe, cela ne devrait-il pas automatiquement changer notre regard, notre attitude à l’égard de l’Animal ?
Ce regard nous accuse ! Quand à cet autre pauvre martyr de la recherche, il n’a même pas cette possibilité, ses paupières ont été cousues !
Si l’animal est notre cousin, si nous avons plus de 98 % de notre ADN en commun avec certains singes et donc uniquement deux minuscules pour cent qui nous séparent, avons-nous le droit d’exploiter l’animal ? [24]
Que l’Homme ait eu des relations de parenté avec le singe est indéniable et prouvé par de nombreuses sciences telles la paléontologie, la biologie, l’anatomie comparée, l’éthologie à travers l’étude des données anatomiques, chromosomiques, génétiques…
La naissance de l’Homme a été dépendante de celle des animaux, tels le Pikaia et « la longue chaîne ininterrompue des ancêtres de l’homme (qui) a failli se casser plusieurs fois… L’empreinte du temps marque donc l’homme à tout jamais, ses sources y sont inscrites et il en porte les traces ineffaçables, qu’il faut savoir déchiffrer » [25].
En 1871, Darwin démontre que l’homme et le chimpanzé ont un ancêtre commun « en raison de la possession de caractères communs, notamment au niveau embryonnaire » [26]. Mais Darwin, aussi révolutionnaire et courageux qu’il peut paraître à nos yeux aujourd’hui, ne faisait que reprendre les intuitions déjà formulées par Buffon, puis par Linné, ce dernier attribuant à l’homme le nom savant d’Homo sapiens et à coté de lui celui de l’« autre homme », l’Homo troglodytes au chimpanzé [27]. Darwin reprenait aussi Lamarck qui le premier eut l’audace d’intégrer dans sa vision transformiste le singe et l’homme. L’hypothèse de Darwin, reformulée par son disciple, Thomas Huxley, aussi surnommé le « Bulldog de Darwin » [28], auteur d’un ouvrage sur l’anatomie comparée entre l’homme et les grands singes « est prouvée aujourd’hui par la proximité génétique entre l’homme, le gorille et indéniablement le chimpanzé, résultat de l’héritage commun d’un patrimoine génétique. D’ailleurs le résultat, quantifié pour la première fois en 1971, a « surpris tout le monde » [29].
Si le moment initial de l’Humanité a été celui de se couper de l’instinctuel, de l’émotif, bref de l’animal [30], du chaos et du désordre de la Nature, la fin de l’Humanité aura-t-elle aussi été amorcée par cette coupure, cette rupture de la nature et de l’Animal ?
L’Homme est-il si parfait que la tradition religieuse veut nous le présenter ? N’est-il pas justement dénudé, dénué de toute protection, telles des griffes, des dents longues, dénudé de force et de rapidité. Comparé aux animaux, si bien adaptés à leur milieu, l’Homme n’est certainement pas le « summum » de la Création, le Roi de la Création, car il est continuellement en « état d’infériorité, d’inachèvement » [31], condition qu’il lui faut dépasser par l’intelligence et l’introspection en l’avenir, deux termes du domaine philosophique qui ont permis à l’Homme de se définir comme supérieur.
Dans son livre reprenant les idées de la deep ecology [32] Michel Serres définit l’homme comme « nul physiquement », comme un « animal pensant, noyé par les espèces mieux adaptées que la sienne…obtenant autant d’effet sur le monde global que le papillon dont Swift écrit qu’un battement d’aile en un désert d’Australie retentira sur des prairies…peut-être demain ou dans deux siècles, sous forme d’orage ou de brise caressante, selon la chance ». Serres continue en rappelant cette petitesse de l’homme, petitesse qui apporterait l’humilité, car selon lui « L’ego du cogito a la même puissance et la même causalité ou portées lointaines que cette aile frémissante de lépidoptère ; à la stridulation des élytres d’un grillon qui grésille équivaut la pensée » [33]. N’allons pas jusqu’à voir en l’homme un parasite, comme le fait Serres, mais reconnaissons que la terre n’est pas le nombril de l’univers -comme nous l’a rappelé Galileo Galilei, tout dernièrement réhabilité par l’Eglise -, et avec humilité que « la terre pourrait bien aujourd’hui exister sans nous, existera demain ou plus tard encore sans aucun d’entre nos possibles descendants… De sorte qu’il faut bien placer les choses au centre et nous à leur périphérie » [34].
La disparition de l’homme n’a jamais été abordée en théologie. Il est vrai que les autres sciences tardent à traiter ce sujet. Si l’homme n’est plus, à quoi bon étudier sa succession ? Pourtant des voix se font plus fortes : Et si l’homme, tel les dinosaures venaient à disparaître [35] ? Je conclurai avec un brin d’optimisme en ce qui concerne notre planète en citant un paléontologue français, spécialiste de l’évolution des hominidés, « De toute façon, s’il (=l’Homme) disparaît, une autre page de l’histoire de la vie terrestre s’ouvrira : la planète des singes redeviendra ce qu’elle a toujours été pendant les temps géologiques, celle des bactéries et des insectes » [36].