Le Christianisme et l’Animal : Une Histoire Difficile, Eric Baratay

, par Estela Torres

Eric Baratay, Université Jean Moulin Lyon 3
Ecozon@ 2011 ISSN 2171-9594121, Vol 2, No 2

L’importance de la relation que les religions, en particulier le christianisme, entretiennent avec la création, et de nos jours avec la question de l’écologie politique, n’est plus à démontrer, à tel point qu’elle a, depuis trente ans, suscité quantité de travaux philosophiques, théologiques et politiques dans le monde occidental. Paradoxalement, l’animal n’est guère au centre de cette réflexion, voire guère intégré à celle-ci (Flecha, Stenger), sans doute parce qu’une bonne part de ce monde vivant ne relève plus de la nature mais du domestique humain et même de la production industrielle. Pourtant, si l’on veut bien prendre du recul sur la relation entre les religions, la nature et l’écologie, notamment pour en retrouver les origines et les motivations profondes, si l’on veut donc mieux comprendre cette relation en abordant son histoire, on s’aperçoit vite que l’animal a été longtemps au premier rang des réflexions, comme représentant le plus important de la création, et qu’il a donné lieu à d’abondants discours qui n’ont été repoussés à l’arrière-plan qu’aux XXe-XXIe siècles. Pour le christianisme, le statut accordé à l’animal permet même le mieux de suivre les évolutions de la relation chrétienne à la nature, tout en lui donnant une plus grande complexité que d’autres éléments naturels. En effet, en raison de sa proximité par rapport à l’homme, l’animal soulève mieux que n’importe quel autre forme du vivant la question du propre de la nature humaine, de celle des autres créatures, et de la frontière qui les séparerait.

Il ne s’agit pas ici de faire l’état des débats théologiques et plus largement philosophiques sur l’animal (de Fontenay), cette approche ayant l’immense inconvénient de transformer le sujet en une discussion intemporelle entre des positions constituées, rationalisées, figées ; nous préférons au contraire insister sur la dynamique historique de cette question, sur la création, l’implantation, la résistance, la transformation des discours et des positions, de manière à montrer que la relation du christianisme à l’animal est une construction temporelle, d’ordre social et culturel. Nous allons voir comment a été créée très tôt une vision chrétienne de l’animal par une complexe alliance entre les considérations bibliques, nombreuses mais contradictoires, et les philosophies de la Grèce antique. Cette conception s’est imposée dans l’Église et a perduré longtemps, en grande partie jusqu’à nos jours, car elle donnait une bénédiction religieuse à une conception sociale plus large, qu’on a pu qualifier d’occidentale, tout en contribuant à la créer et puis à l’entretenir. Et dans cette dynamique, le christianisme a fonctionné à la fois comme un facteur d’incitation, de consolidation et de justification, en tant que projection et caution sociales, selon le schéma durkheimien des religions. Longtemps qualifiée de chrétienne, avec l’idée qu’il ne pouvait en exister d’autres, cette élaboration de l’animal a été mise à mal à partir du XVIIIe siècle, d’abord dans le monde protestant où une revalorisation de l’animal a été entreprise, puis plus timidement dans le monde catholique à partir du XIXe siècle. Partout, la remise en cause est devenue très forte depuis les années 1970. On assiste à la déconstruction d’une conception qu’on croyait évidente, “naturelle”, et à la construction d’une autre vision ; cela au moment même où l’Occident remet en question son rapport à la nature.

L’énigme animale dans l’Ancien Testament

Le christianisme puise ses fondements dans la Bible et son regard sur l’animal ne déroge pas à la règle. L’Ancien Testament est prolixe sur l’animal, mais la compréhension de son discours est entravée par la complexité de sa rédaction (la Genèse offrant deux récits de la création) et par ses traductions successives qui furent à chaque fois des réécritures à l’aune des sensibilités du moment, donnant lieu à des déformations qui ont fait oublier la pensée primitive et installé une autre tradition. En effet, une lecture en place dès les premiers siècles du christianisme voit dans l’Ancien Testament le fondement divin d’une infériorité et d’un asservissement de l’animal. Mais depuis peu une certaine exégèse, surtout protestante (de Pury), refuse une approche trop ethnocentrique du texte, tente d’en retrouver le sens originel en comparant le judaïsme avec les autres civilisations du Proche-Orient ancien (Borgaud ; Parayre), et essaie, sous l’impact des idées écologistes, de se départir des réflexes anthropocentriques. Elle propose une lecture intéressante parce que plus complexe et nuancée, qu’il faut cependant relativiser : peut-être plus proche de la vérité, cette relecture est aussi mieux ajustée à nos idées.

La Genèse (Gn 1) raconte la création d’un univers où les habitants (luminaires célestes, animaux, hommes) sont distingués de l’habitat (jour, nuit, firmament, terre, végétaux). L’homme partage ce monde bon et merveilleux avec d’autres créatures et le texte (Gn 2) l’inscrit dans une communauté par un jeu de relations avec la terre, les bêtes, la femme et Dieu. Les animaux doivent pallier la solitude de l’homme (Gn 2, 18) et, bien qu’ils n’aient pas suffi, leur création ne peut être considérée comme manquée. Leur nomination par Adam (Gn 2,19) ne signifie pas l’appropriation de la nature (il ne fait pas de même pour les choses), mais l’instauration d’une relation privilégiée et d’une communication entre vivants (en Gn 3, le serpent parle à l’humain ; le silence ultérieur serait donc une séquelle de la chute). Elle implique toutefois un acte de souveraineté et une hiérarchie : Dieu revêt l’homme d’une dignité royale et les animaux deviennent ses sujets, non des choses. L’aide qu’ils lui apportent (Gn 2, 18) n’est pas d’ordre matériel (il ne travaille pas et tous sont végétariens : Gn 1, 29-30), mais existentiel (de Pury).

Le Péché Originel introduit l’hostilité et la violence. Les animaux sauvages se révoltent et doivent être contenus au loin par un incessant combat. Dieu accorde le droit de manger les bêtes à la suite du déluge (Gn 9, 3-4) et permet l’instauration des sacrifices rituels dès Abel et Caïn (Gn 4, 3-4), Noé (Gn 8, 20) et Abraham (Gn 22, 13), sacrifices qui ont donné lieu à diverses interprétations : appropriation d’une coutume païenne ; sacrifice de substitution où l’homme se met mentalement à la place de la victime ; offrande des biens les plus précieux ; immolation d’un bouc émissaire pour prévenir la violence ; sanctification de la nature ; etc. (Chalier 117-138 ; Neusch).

Cependant, la communauté persiste, notamment sous la forme d’une alliance des destins. Les animaux sont sauvés lors du déluge, puis inclus dans l’alliance que Dieu passe avec les hommes. La tradition des Sages insiste sur leur présence lors des épisodes majeurs de l’histoire d’Israël. Dégradés conjointement par le péché, hommes et bêtes peuvent s’exhausser ensemble vers le divin. D’ailleurs, Dieu garde des relations avec elles : Il les nourrit par sa providence (Ps 84, 4) et elles se tournent vers lui (Ps 104, 21) ; faisant preuve d’une attitude religieuse, certes différente de celle de l’homme (Ps 104, 29), elles supplient le Seigneur (Jb 38-41) ou Le louent (Ps 148, 10). Cette communauté se concrétise aussi par la sollicitude du maître pour ses serviteurs. La Loi protège la bête au même titre que les pauvres, les faibles, les étrangers. Elle oblige à décharger l’animal des fardeaux excessifs (Ex 23, 5), à lui donner une part de son travail (Dt 25, 4), à faire reposer l’âne et le boeuf lors du sabbat (Ex 23, 5), etc. Le meurtre de l’animal représente une transgression aussi grave que l’homicide et son auteur est passible d’une peine mortelle (Lv 24, 16-18). L’abattage autorisé pour la manducation quotidienne ou le sacrifice doit être le moins douloureux possible et le sang ne peut être consommé, car c’est l’âme (Dt 12, 23-24). À l’inverse, par ses moeurs et son exemple, l’animal aide l’homme à se connaître et à comprendre le monde (Ps 42, 2 ; Pr 30, 15-33) (de Pury).

Si l’Ancien Testament insiste sur la communauté des créatures (Bottéro 103- 113), il est plus elliptique sur les différences qui les séparent. L’homme et l’animal ont été modelés avec la même glaise (Gn 2, 7.19) et leurs âmes sont toutes deux liées au sang (Gn 4, 10 ; 9, 5-7). Le souffle de vie reçu de Dieu par Adam (Gn 2, 7) annonce bien le don de la vie, mais n’implique en rien l’immortalité. Il semble au contraire que les deux créatures aient été créées mortelles et que la mort ne soit mal ressentie que lorsqu’elle est prématurée (Gn 2, 17 ; 3, 19). Les destinées sont les mêmes et il n’existe pas de survie individuelle, une perspective présente du Pentateuque à l’Ecclésiaste (Qo 3, 19-21).

Il reste deux aspects délicats à interpréter. Les sept premières oeuvres de la création sont qualifiées de bonnes alors que l’homme ne l’est pas, parce qu’il est libre de l’être. La liberté serait l’une de ses caractéristiques, bien que rien ne soit dit des animaux et qu’elle ne puisse être entendue comme une qualité de l’âme, présente dès la création, comme l’exégèse chrétienne et la philosophie occidentale l’interprèteront par la suite. La liberté intervient lorsque Dieu adresse la parole à l’homme et le constitue en interlocuteur ; elle n’est pas une nature, mais un possible. L’autre particularité vient du titre d’image de Dieu (Gn 1, 26-27) que la tradition chrétienne tient pour l’évocation indirecte de propriétés physique (la station verticale) ou intellectuelle (l’intelligence), alors qu’une exégèse nouvelle l’analyse comme l’indication d’une finalité : servir d’image à ou de Dieu. Il ne s’agit pas d’une qualité intrinsèque mais d’une relation, d’une fonction, dont le sens exact divise les spécialistes. Dans le premier cas, l’homme sert d’image à Dieu parce qu’il est un répondant, un interlocuteur. Dans le second cas, il est image de Dieu, c’est-à-dire un représentant de Dieu, son vassal sur terre, ce qui expliquerait les versets annonçant la domination sur les bêtes (Gn 1, 26-30). Cette seconde version a longtemps été lue comme un blanc-seing donné à l’homme pour l’exploitation du monde animal. Cependant, une exégèse sensible à l’écologie parle aujourd’hui d’une responsabilité du berger sur son troupeau. La domination sur les oiseaux et les poissons par un Adam végétarien et ses successeurs est de l’ordre du concept, non de la pratique. Le titre de souverain des animaux n’est qu’honorifique, car la Genèse ne dit nulle part qu’ils ont besoin d’être dirigés ou qu’ils doivent l’être pour accomplir leurs destinées (de Pury).

De la communauté à l’exclusion

Ce qui rend cette interprétation séduisante, c’est qu’elle nécessite une évolution des esprits pour mener de ce judaïsme primitif à la conception chrétienne. Or, l’un des grands apports de l’exégèse des XIXe-XXe siècles est d’avoir mis en valeur des glissements de représentations d’un livre à l’autre de la Bible. Ainsi, la notion de résurrection des hommes émerge dans les textes des VIe-Ve siècles av. J.-C. (Ps 16-10), puis elle est affirmée au IIe siècle av. J.-C. (Dan 12, 2). L’écart avec l’animal se creuse un siècle plus tard lorsque le concept de spiritualité et d’immortalité de l’âme humaine est évoqué par l’auteur du Livre de la Sagesse (Sg 9, 15), un juif hellénisé d’Alexandrie, influencé par la distinction platonicienne du corps et de l’âme (Dictionnaire I, 1022- 1025). Le même auteur (Sg 2, 24) identifie implicitement le serpent du Péché Originel au diable, ce que la Genèse ne faisait pas, rapprochant ainsi démons et bêtes (Bodson 530).
Les versets concernant les animaux deviennent rares dans le Nouveau Testament. Certains s’inscrivent dans la tradition de la communauté en évoquant les liens avec Dieu (Mt 6, 26 ; Lc 12, 24), l’espoir d’un retour à la paix paradisiaque (séjour du Christ au désert, Mc 1, 13), l’attente de la création qui soupire (Rom 8, 19-22), ou encore l’évangélisation de toutes les créatures (Mc 16, 15). D’autres affirment une supériorité ontologique de l’homme (Mc 5, 1-13 ; Act 10, 12-14 ; 2 P 2, 12-22) ou entreprennent une relecture des textes en le mettant au centre de tout ce qui se produit entre Dieu et la création. À propos de l’injonction “Tu ne muselleras pas le boeuf qui foule le grain” (Dt 25, 4), Paul écrit : “Dieu s’inquiéterait-il des boeufs ? N’est-ce pas pour nous qu’il parle ? Oui, c’est pour nous que cela a été écrit !” (1 Co 9, 9-10). De l’auteur du Livre de la Sagesse à l’apôtre Paul, on entrevoit l’influence croissante de la pensée grecque, notamment du néoplatonisme, qui instille une rupture entre l’homme et les autres créatures (Caprotti 223-228), et ce aussi bien dans le judaïsme de l’époque, qui entend se singulariser des religions voisines depuis le retour de Babylone, que dans le christianisme naissant.

Cela illustre la synthèse qui s’ébauche alors et se poursuit durant le premier millénaire du christianisme. Du fait du caractère elliptique ou symbolique ou allégorique de l’Ancien Testament, et de la brièveté du Nouveau, le discours chrétien (précisément des clercs) sur l’animal est construit par l’adjonction de divers héritages permettant d’interpréter ou de compléter les Livres, ainsi que par un brassage des idées dans l’Empire romain puis dans la chrétienté du haut Moyen Âge. Littératures grecque et romaine, connues par les abréviateurs de l’antiquité tardive, cultures locales, perse, juive, germaine, scandinave, etc., sont peu à peu fondues dans un creuset par les auteurs des Apocryphes, les Pères de l’Église, les hagiographes, les moines. Tous participent à une lente construction du discours, où se mêlent la compilation (initiant une soumission aux “autorités” : Bible, Pères de l’Église, auteurs antiques), l’épuration des aspects peu à peu jugés hétérodoxes ou païens, la transformation des idées et des images au fil des emprunts (Voisenet, Bestiaire Chrétien ; McQueen ; Gilhus). En place dès le haut Moyen Âge et stable sur la longue durée dans ses aspects généraux, ce discours fluctue à court ou moyen terme, parce qu’il oscille entre l’attachement à des principes établis tôt et l’adaptation aux représentations différentes de chaque époque.

Une créature inférieure

Dès les origines du christianisme, l’image de la bête est forgée en opposition à celle de l’homme et cela devient une constante de ne regarder l’une qu’à travers l’autre. Les premiers auteurs chrétiens, notamment les Pères de l’Église, sont peu à peu gagnés au néoplatonisme. En effet, ce dernier présente à leurs yeux l’avantage d’être proche du christianisme, du fait de sa croyance en une divinité transcendante. Le néoplatonisme permet donc de donner une interprétation convenable de “l’image de Dieu” de la Genèse, en soutenant que l’âme humaine est de nature intellectuelle et immatérielle, donc parente avec le divin. L’approche néoplatonicienne permet en outre au christianisme de continuer à se démarquer des religions païennes, en plaçant la relation avec Dieu dans une sphère supraterrestre. Cet intérêt est avalisé par saint Augustin dont la philosophie domine sans partage le christianisme jusqu’au XIIIe siècle, puis reste bien ancrée ensuite. Pour lui, l’âme est la partie supérieure de l’homme, indépendante du corps, spirituelle, et la source de la connaissance intellectuelle correspondant à “l’image de Dieu” de la Genèse (Dictionnaire 1022-1025). L’expression reçoit ainsi sa lecture définitive sous l’impulsion d’une pensée grecque qui érige l’intellect en critère de définition de l’homme et des divinités, alors que, nous l’avons vu, son sens originel semble avoir été différent. À l’inverse, si l’animal est doté d’une âme comme l’indique l’Ancien Testament, et ce sera toujours le cas hormis l’épisode cartésien, elle devient conçue comme étant matérielle et attachée au corps, puisque l’animal n’est pas image de Dieu. Cette âme permet une connaissance, mais uniquement basée sur les sens, et toutes les facultés qui paraissent relever de la raison ne lui appartiennent pas.

Les grands traits de la distinction restent fixés jusqu’à nos jours, quelles que soient les philosophies qui se succèdent pour interpréter et compléter la Bible. Lorsqu’au XIIIe siècle, Thomas d’Aquin tente de concilier la foi avec l’aristotélisme redécouvert, il rompt la continuité des âmes matérielles que le philosophe grec avait instituée de la plante à l’homme, pour donner à celui-ci, et à lui seul, une âme intellective, spirituelle, de type platonicien. En conséquence, et bien qu’il adopte l’idée aristotélicienne d’une création hiérarchisée et graduée de créature en créature, Thomas d’Aquin introduit des différences de nature dans les facultés les plus communes et les plus simples de l’homme et de l’animal, les attribuant à la raison pour l’un, aux sens ou à l’instinct pour l’autre (Van Steenberghen 76-92). C’est à cette distinction tranchée des aptitudes que s’attachent les théologiens jusqu’à nos jours. Pour cela, il ne s’agit jamais d’observer l’animal, mais de décider si telle capacité suppose la raison : en ce cas, il ne peut l’avoir.

La permanence de ce comportement montre que le christianisme ne pense l’homme que par la dévalorisation de l’animal. Sans doute faut-il remonter aux origines pour comprendre cela, notamment à la volonté d’imposer un Dieu transcendant contre les divinités païennes, voire zoomorphes. La tentative de promouvoir l’homme en interlocuteur direct et de le faire pour cela à Son image tient donc à la volonté de combattre tout panthéisme ou totémisme en installant une césure avec les autres créatures. Deux conceptions opposées montrent l’ancrage de cela. Il y d’abord la thèse cartésienne de l’animal machine, qui apparaît vite irréaliste à beaucoup, mais qui séduit le clergé catholique des XVIIe-XVIIIe siècles parce qu’elle accroît le fossé avec l’homme (défini par le seul esprit) et la prérogative de celui-ci. À l’inverse, le spiritualisme des XVIIIe-XIXe siècles attribue une âme spirituelle aux bêtes, génératrice de facultés assez développées, bien qu’inférieures à celles de l’homme. Cette thèse est alors souvent considérée comme plus proche des faits, mais elle n’est adoptée qu’avec retard par le clergé catholique, durant quelques décennies de la première moitié du XIXe siècle. Elle suscite vite de fortes oppositions, parce qu’elle ne distingue pas assez les créatures, et elle est supplantée dans les années 1870 par un néothomisme en place jusqu’à nos jours (Baratay 85-96, 149-153).

Cette attitude suscite des contestations aux XVIe-XVIIIe siècles, comme celles des courants libertins puis philosophiques, qui développent une conception matérialiste des vivants tout en maintenant une hiérarchie (Gonthier ; Guichet). Elle pose aussi problème aux XIXe-XXIe siècles au regard du développement de la paléontologie, de la biologie évolutionniste et de l’éthologie, disciplines qui rapprochent l’homme et l’animal, rendent les frontières entre eux floues et repoussent sans cesse leurs bornes. Ce brouillage entraîne de vives oppositions du clergé au XIXe siècle, ou son désintérêt délibéré de nos jours : hormis un courant marginal dans le catholicisme et minoritaire dans le protestantisme, la plupart des théologiens s’en tiennent à une lecture classique de l’homme et de l’animal (Baratay, 161-170, 233-246).

L’absence de destin

Nous avons vu que les notions de résurrection des hommes et d’immortalité des âmes émergent dans l’Ancien Testament. Pourtant, le Nouveau Testament et notamment saint Paul (1 Co 15, 19) ne conçoivent la seconde que par la résurrection intégrale. Les Pères de l’Église gagnés au stoïcisme considèrent que la mortalité provisoire est compensée par la résurrection finale et que l’immortalité immédiate, si elle a lieu, ne dépend que de Dieu. Cependant, la thèse contraire, d’une immortalité consubstantielle à la nature immatérielle de l’âme, s’impose sous l’impulsion des Pères acquis au néoplatonisme et devient une caractéristique indispensable de l’homme (Dictionnaire, 1022-1025). Elle contribue à installer le dualisme matière-esprit qui structure la vision chrétienne de l’univers, avec d’un côté Dieu, les anges, les hommes qui vivent dans les cieux éthérés ou aspirent à les rejoindre, et de l’autre, des créatures définitivement attachées à la terre, les théologiens n’accordant qu’une âme mortelle à l’animal. Cette différence devient un élément majeur de la distinction, un garant des prérogatives humaines, un barrage à toute égalisation : lorsque le spiritualisme catholique du XIXe siècle concède une âme spirituelle à l’animal, il la conçoit ... mortelle (Baratay 149-153) !

Cela se traduit par le refus de prendre en compte des versets plus nuancés de l’Ancien Testament (Qo 3, 19-21), par l’oubli des bêtes dans les commentaires de la “nouvelle terre” promise par saint Pierre (2 P 3, 13), ou encore par leur absence dans les descriptions du paradis, alors qu’y figurent les rivières et la flore. Cela explique que le spiritualisme du XIXe siècle soit vite abandonné, certains clercs ayant proposé d’attribuer l’immortalité aux âmes des bêtes, non pas par sympathie, mais pour être cohérent avec la théologie classique, une âme spirituelle devant être immortelle. Cela explique aussi la constance à ne vouloir parler que de capacités sensitives pour les animaux et la difficulté à leur concéder des facultés développées, car elles semblent entraîner, dans une perspective qui est en fait celle de la philosophie occidentale, une essence spirituelle. Cela explique enfin les réticences envers les mouvements contemporains de protection qui sont, dans l’ensemble, favorables à l’idée d’une âme spirituelle et d’une survie des bêtes (Baratay 149-153, 204-208).

Un missionnaire auprès des hommes

Cette prudence a semblé longtemps nécessaire, car la bête est dotée d’une fonction initiée dans l’Ancien Testament : aider l’être humain dans sa quête spirituelle parce qu’elle est la créature la plus proche de lui, juste en dessous, tout en étant assez différente de l’homme pour qu’elle ne prétende pas partager le même destin et participer au dialogue avec Dieu. À la suite de saint Augustin, les théologiens affirment qu’en leur octroyant l’être, Dieu a donné aux créatures matérielles une participation à sa nature divine. Il est donc possible de Le connaître en les observant, même si elles ne sont que des reflets, des vestiges de Dieu, contrairement à l’homme, qui incarne, lui, Son image.

La recherche du Créateur par Ses traces naturelles devient une constante du christianisme et trouve son apogée dans le franciscanisme prônant une contemplation mystique de la nature (Baratay 53-54). Mais l’animal a souvent un rôle plus actif, utilisé dans les vies des saints, les exempla du Moyen Âge, ou par les prédicateurs. Il est un symbole usité du Christ (agneau, pélican, phénix, etc.), du Saint-Esprit (colombe), des anges (oiseaux), des évangélistes, mais aussi des fidèles, tels le cerf étanchant sa soif, les brebis suivant le berger, les oiseaux picorant le raisin (Voisenet, Bêtes et hommes 353-370). La plupart de ces figures ont une origine biblique directe ou résultent de l’interprétation de versets sous l’effet d’une influence extérieure. Ainsi, Philon d’Alexandrie, juif néoplatonicien d’origine grecque, établit une alliance entre les animaux et les péchés, qui est reprise par saint Paul (1 Co 15, 32) et les Pères de l’Église, en s’appuyant sur des descriptions bibliques (Jér 5, 6 ; Ap 13, 2). Elle prend une telle ampleur au Moyen Âge que les bêtes en viennent à figurer les péchés capitaux à elles toutes seules, jusqu’au début du XXe siècle dans le catholicisme. Parallèlement, le rap prochement initié dans l’Ancien Testament entre Satan et le serpent est officialisé par les premiers chrétiens (Ap 12, 9). Ce reptile et le dragon deviennent les images naturelles du démon, qui est d’ailleurs déchu de ses aspects humains aux XIe-XIIe siècles pour prendre désormais les apparences de bêtes velues et lubriques (bouc, crapaud, chat, etc.) (Vincent-Cassy). C’est également à partir de cette époque que les sorcières au sabbat sont affublées d’allures bestiales et que les hérétiques sont symbolisés par des animaux malfaisants.

L’animal sert aussi de modèle. Les vies des saints, les exempla, les récits de vie quotidienne lui donnent un comportement édifiant que les fidèles doivent méditer et imiter : il obéit aux hommes de Dieu, respecte, voire vénère les lieux et les objets sacrés, fait preuve de vertus, etc. Il aide aussi à l’accomplissement de l’histoire divine en se mettant au service de Dieu (de l’âne de la fuite en Égypte ou de l’entrée à Jérusalem à la colombe venue montrer à tous la béatitude de François de Sales), au service des saints (du chien de Roch au crabe de François-Xavier) ou de la foi de tous les jours (par exemple, en pourchassant les hérétiques et les incrédules). Tout cela n’est possible que par une conversion de nature, d’autant plus importante que l’animal est sauvage et dangereux, montrant la puissance de Dieu tout en édifiant les hommes. Mais la chute ayant obscurci les relations avec les bêtes, celles-ci deviennent souvent les auxiliaires du démon et de ses agents, en participant ainsi au combat entre le bien et le mal (Berlioz ; Voisenet, Bêtes et hommes 194, 292, 353). Ces actions traduisent une sorte de sacralisation de la nature, laquelle sert de théâtre à l’histoire divine et guide l’homme vers son salut, car l’animal n’est pas le seul acteur de la pièce, même s’il en est le principal : les arbres, le vent, les eaux, les rochers participent quelquefois. Cela s’explique par une longue adhésion à une religion de proximité, où le divin intervient sans cesse auprès des hommes, ainsi que par la nécessité d’une pastorale concrète pour enseigner à des po pulations paysannes par le biais de la créature la plus proche de l’humain biologiquement et géographiquement. Cela a peut-être été aussi initié ou renforcé par les conceptions païennes de la nature.

Cependant, tout danger de vénération de divinités zoomorphes, par confusion entre l’agent matériel et la puissance invisible, ou encore de panthéisme est évité grâce à une désincarnation : l’animal n’est pas considéré pour lui mais pour les attributs ou les capacités adaptés au rôle qu’il est appelé à tenir. Il est réduit à cette fonction et s’efface derrière le symbole présenté, le ministère rempli, la leçon véhiculée. Il n’est qu’un signe, un instrument de la Providence dont l’entité est restreinte au message à transmettre, ce qui a longtemps laissé libre cours à l’imagination, à la multiplicité des interprétations, à la profusion des créatures monstrueuses ou mythiques. C’est pourquoi l’animal est rarement regardé, et surtout pas par curiosité : c’est dans les livres, non dans la nature, que les clercs puisent leurs édifiantes descriptions d’animaux. La faune n’existe que pour donner des exemples de foi, sa réalité importe moins que le signe, et la vérité n’est pas utile, le merveilleux s’avérant aussi instructif que le réel. Même lorsqu’ils participent à l’engouement pour l’histoire naturelle des années 1670-1840, clercs et pasteurs n’observent la nature que pour apercevoir Dieu à travers elle (Baratay 115-118).

Cette utilisation est en vigueur dans le monde catholique jusqu’au début du XXe siècle avec des hauts, tels les XVIe-XVIIe siècles lorsque l’animal est enrôlé dans le combat contre les protestants, ou des bas, comme au XVIIIe siècle sous l’action de la réforme catholique, lancée par le concile de Trente (1545-1563) et luttant contre les superstitions populaires. Elle s’efface dans les années 1900-1940 du fait d’une transformation de la religion, avec un Dieu lointain, intervenant peu, un dialogue plus intériorisé, se dispensant des intercesseurs terrestres, et une pastorale délaissant les
champs pour les villes et transformant ses méthodes. L ’abandon de l’animal missionnaire participe au désenchantement du monde entrepris par l’occident contemporain (Baratay).

Une créature faite pour l’homme

Le risque d’un culte aux animaux est d’autant mieux circonscrit que le christianisme sécularise leur statut. Les apôtres interdisent les immolations en faveur des idoles (Ac 15, 19-29), tandis que le sacrifice juif est remplacé par la messe, la transition étant symboliquement assurée par la figure de l’agneau christique. L’abattage est transformé en opération profane ne nécessitant ni rites, ni opérateurs particuliers. Les interdits alimentaires du judaïsme perdurent par contre plus longtemps. Les apôtres maintiennent la condamnation des viandes étouffées, non-saignées (Ac 15, 19-20). La mesure est encore rappelée aux IVe-VIIe siècles, bien que l’explication initiale (le sang est l’âme) soit peu à peu oubliée, avant de disparaître en Occident aux VIIIe-IXe siècles. L’interdiction de la consommation des animaux impurs reste aussi en vigueur jusqu’au IXe siècle, par souci de lutte contre le paganisme, bien qu’elle ait été abolie par le Nouveau Testament (Ac 10, 9-16 ; 1 Co 10, 25-26 ; Rom 14). Seule l’abstinence des viandes persiste jusqu’au XXe siècle. Pourtant, les canons apostoliques, saint Paul (1 Tm, 1-4), puis de nombreux conciles avaient condamné les chrétiens qui professaient le dégoût des viandes jugées immondes et polluantes. Le concile d’Ancyre (314) avait obligé les prêtres à consommer au moins une fois de la viande pour montrer qu’ils ne la croyaient pas impure. Mais l’abstinence se développe dans le monachisme, puis s’impose parmi les séculiers et les laïcs, en se concrétisant par de nombreux jours maigres (Stroumsa ; Laurioux 79). En refusant la nourriture jugée la plus terrestre, la moins digeste, la plus susceptible de provoquer des désirs immodérés, il s’agit de libérer symboliquement l’âme des pesanteurs du corps pour lui permettre de penser au spirituel. Ainsi, l’abstinence perdure parce qu’elle s’inscrit dans le dualisme matière- esprit, parce qu’elle conforte l’abaissement de la bête devenue le symbole d’un monde rejeté, et parce qu’elle sous-entend le refus de la condition terrestre et animale. Elle s’efface au XXe siècle du fait de la revalorisation de cet univers matériel, mais dans le but de mieux s’en emparer et d’en jouir (Baratay 264-268).

Avec tout cela, le christianisme affirme son universalité face à la singularité du judaïsme et, surtout, il renvoie le monde animal dans le profane. La bête devient un objet à utiliser pour les besoins du quotidien, car il semble évident qu’elle a été créée pour le bien de l’homme, centre et maître de la création. Le péché originel n’a pas remis en cause la souveraineté de l’être humain et Dieu a disposé les choses pour sa plus grande convenance : les bêtes farouches sont retirées dans les solitudes et les forêts, celles des champs sont prêtes à donner leurs produits et celles des villes à proposer leurs loyaux services. Jusqu’au début du XXe siècle, la notion de domestication ne concerne que les
animaux d’agrément, les bêtes d’élevage semblant avoir été créées dès les origines (d’après Gn 1, 25). Ce finalisme prend à certaines époques une ampleur étonnante : pasteurs protestants et prêtres catholiques du XVIIIe siècle sont persuadés que le cheval a été conçu pour porter l’homme, le chien pour le caresser, etc. Du coup, les versets de la Genèse évoquant la domination prennent un sens matériel qu’ils n’avaient peut-être pas à l’origine. L’homme a le droit d’utiliser les bêtes, mais il peut aussi les tuer pour se vêtir, se nourrir ou pour son plaisir. Cette légitimité est telle que des théologiens doutent régulièrement que l’homme ait été végétarien avant le déluge. Et tous considèrent cette pratique comme le fruit d’une superstition païenne, d’une croyance en la détestable métempsycose. La consommation de viande dégagée de tout rituel est vécue comme le signe du christianisme, mais aussi de la domination absolue sur la nature et d’une distinction abyssale entre l’homme et les bêtes. Si la répartition providentielle et le finalisme naïf disparaissent dans les années 1870-1930 sous l’effet des découvertes paléontologiques, si le végétarisme perd son caractère symbolique dans la seconde moitié du XXe siècle, du fait du désenchantement du monde, le droit de l’être humain sur les animaux reste, lui, par contre bien ancré (Voisenet, Bêtes et hommes ; Baratay).

Un discours de domination

T out au long de l’histoire chrétienne, ce droit légitime un sentiment d’indifférence envers le sort de l’animal, plus ou moins amplifié selon les époques (Voisenet, Bêtes et hommes ; Baratay). La théorie de l’animal machine, un temps à la mode parmi le clergé catholique, permet de nier l’existence de la douleur chez les bêtes et de les utiliser à volonté au moment même où la science occidentale initie une entreprise de maîtrise du monde. L’adoption, à partir des années 1940, d’un évolutionnisme chrétien, transforme l’animal en une créature du passé, qui doit se sacrifier pour permettre à l’homme de progresser, et justifie une exploitation industrialisée. Des réserves marginales sont cependant émises de temps à autre sur le droit de l’homme à disposer des bêtes, notamment à les tuer. Des clercs reprennent une argumentation issue d’auteurs antiques, tel Plutarque (de Fontenay 145-152), en affirmant que les abus sont condamnables, non pas envers l’animal, mais pour qu’ils ne rejaillissent pas sur les hommes en banalisant la violence et le sang. Aimer voir le sang des bêtes, c’est se préparer à contempler celui de l’homme. La réserve ne porte pas sur les principes, mais sur l’excès, voire le gratuit ou l’inutile, ce qui la cantonne souvent à la pure recommandation, car où faire débuter l’abus lorsque le plaisir est inclus dans le droit ?
De fait, l’amour pour l’animal n’est jamais bien considéré. Il est interprété comme un attachement à des créatures matérielles incapables de porter vers le divin, un renoncement au destin supraterrestre. L’homme se perd dans la matière, oublie son Dieu et nie sa nature spirituelle, à part dans la création. Les dénonciations de cet amour scandaleux sont incessantes. Il s’agit de dresser ce danger en épouvantail pour maintenir les fidèles dans la bonne voie et préserver le statut particulier de l’homme. Dans le monde catholique, le seul amour toléré est celui des saints, eux seuls sachant transcender la matière, considérer les créatures comme des traces de Dieu et L’adorer à travers elles. C’est en ce sens que le franciscanisme a toujours été admis et revendiqué par l’Église tout en étant marginalisé1. Quant à ceux qui professent un amour plus modeste et profane, ils restent discrets jusqu’au XIXe siècle (Voisenet, Bêtes et hommes 244-254 ; Baratay 199-203).

Tout cela pose la question de l’influence du christianisme sur les sociétés occidentales. On explique souvent leurs attitudes envers la nature par le poids de la religion ; mais, quand on se penche sur les fluctuations de celle-ci en la matière, on croit plutôt trouver leurs causes dans les transformations sociales ! Il faut évoquer une interaction continue, la société demandant à la religion une justification de ses penchants tout en l’adaptant à l’évolution de ses représentations. En ce domaine, le christianisme remplit bien le rôle social autrefois relevé pour toute religion par Durkheim dans Les formes élémentaires de la vie religieuse : permettre aux sociétés humaines de se représenter, de s’adorer et de se consolider, en glorifiant l’homme, en sacralisant sa propension à se croire différent et en transformant en commandement divin son aspiration à la maîtrise de la nature.
Trois exemples illustrent cela. On n’a pas assez réfléchi sur l’influence qu’a pu avoir la représentation du paradis dans l’imaginaire collectif, car ce monde sans bêtes a été proposé, des générations durant, comme l’archétype d’un habitat qui serait enfin celui de l’homme, de lui seul. Et c’est ce modèle que l’occident a réalisé lorsqu’il en a eu les moyens techniques avec la révolution industrielle, en réduisant la faune sauvage, en licenciant les animaux de trait ou en inventant l’élevage industriel. Il a été aussi montré que les récits hagiographiques du haut Moyen Âge évoquant les relations des saints avec les bêtes sauvages constituaient un encouragement moral à prendre possession des marges hostiles du monde chrétien (Voisenet, Bêtes et hommes 208-217 ; Guizard- Duchamp). Formé peu à peu selon les souhaits du concile de Trente, le clergé a dévalorisé l’animal grâce au cartésianisme, a abaissé les sens et la matière au profit de l’esprit, et a épuré les lieux de culte des "objets" matériels, en priorité des bêtes, afin de mieux scinder le sacré du profane. Par ces tous ces biais, le clergé a soutenu le processus général de séparation entre l’homme et la nature, processus initié par la révolution scientifique du XVIIe siècle puis approfondi jusqu’à nos jours par les transformations démographiques, agricoles et industrielles (Baratay 303-306).
1 Voir aussi le sort des apocryphes : J. E. Spittler, Animals in the Apocryphal Acts of the Apostles : The Wild Kingdom of Early Christian Literature.

La conversion du protestantisme

Pourtant, la religion est loin d’être un socle inébranlable. Aux XVIe-XVIIe siècles, rien ne sépare les protestants des catholiques sur la conception des animaux, et l’Angleterre, par exemple, est alors célèbre pour sa cruauté envers les bêtes (Thomas 19- 29, 189-198 ; Fudge, Perceiving Animals). Dans la contre-réforme initiée par le concile de Trente, le cas de la France, une zone de confrontations et d’émulations entre ces deux religions, est aussi instructif : les virulentes critiques des protestants à propos d’épisodes trop déformés de la vie du Christ (comme la nativité avec le boeuf et l’âne) ou des vies des saints (souvent aidés par des bêtes, notamment celle de François d’Assise entouré d’animaux à qui il prêche, qu’il protège et qui l’assistent) incitent en fait les catholiques à expurger leurs lieux de culte, iconographie et sermons des images et histoires où les animaux participent au sacré. Par le dépouillement du culte, par une démarche centrée sur l’introspection et le dialogue individuel avec Dieu, le protestantisme est alors le fer de lance d’une séparation du spirituel et du matériel, d’un rejet de l’animal hors du religieux, ainsi que d’une dénaturation du christianisme (Baratay 85-142).

Cependant, une évolution contraire se dessine aux XVIIe-XVIIIe siècles, d’abord en Angleterre. Elle est initiée par des membres de groupes protestants minoritaires, donc souvent en rupture avec les conceptions dominantes. Ce point est d’importance. Des puritains, des quakers, des évangélistes, etc. retrouvent dans l’Ancien Testament les versets favorables aux bêtes. Ces voix affirment que Dieu s’intéresse autant à elles qu’aux hommes, qu’elles doivent être respectées et qu’il faut combattre les cruautés, signes d’une tyrannie injuste des humains. Ces protestants minoritaires s’appuient aussi sur les philosophies sensualistes, justement créées en Angleterre à la fin du XVIIe siècle, pour prôner l’avénement de l’homme sensible et la compassion envers la souffrance partagée par les vivants animés, une caractéristique plus importante que la présence de la raison. Ces mêmes philosophies sont invoquées pour affirmer ensuite que les animaux ont une âme, aux facultés développées, survivant à la mort. S’ils vont bien chercher des arguments révélés dans la Bible ou rationalisés dans la philosophie pour justifier leur position, ces protestants initient, accompagnent et illustrent une transformation des sensibilités extérieure à la religion. En effet, cette mutation est avant tout d’origine sociale, créée par la bourgeoisie citadine, un groupe justement pourvoyeur de réformateurs sociaux, de philanthropes, de démocrates qui propagent cette nouvelle vision. Cette même classe comprend aussi des intellectuels et des clercs qui rationalisent, justifient et fortifient ce devoir de compassion envers l’animal (Thomas 198-239 ; Fudge, Brutal Reasoning). Cette évolution de vue se retrouve ensuite dans les autres terres protestantes d’Europe ou d’Amérique du Nord avec quelques écarts chronologiques.

Désormais, et même si la majorité des pratiquants ne suit que lentement jusqu’à nos jours, c’est dans le monde protestant que surgissent les idées neuves en faveur des animaux. En France, c’est le pasteur David Bouillier qui popularise au XVIIIe siècle l’idée d’une âme spirituelle des bêtes ; c’est le protestant Paul Sabatier qui, à la fin du XIXe siècle, recrédibilise le franciscanisme et sa vision de la nature ; et c’est Albert Schweitzer qui développe, à partir de l’entre-deux-guerres, la notion de respect de la vie comme base d’une nouvelle éthique (Baratay). Depuis les années 1970, la révision de certains concepts a fait beaucoup d’avancées dans les pays d’Europe du nord-ouest et d’Amérique du nord. Des théologiens, des pasteurs regrettent les mauvais rapports entretenus avec les animaux, de la cruauté à la destruction. Ces voix protestantes soutiennent l’idée d’une lourde culpabilité des Églises et prônent une réparation commençant par une profonde relecture de la Genèse. Elles insistent également sur la continuité de l’évolution, de la molécule à l’homme, donc sur la ressemblance avec l’animal. Sur cette même base, elles mettent l’accent sur la présence commune d’une âme, ainsi que sur la solidarité et le partenariat avec la nature qui a sa propre valeur, son propre droit à l’existence. Ces théologiens et pasteurs affirment que l’homme n’est pas le but final de la création, qu’il n’est que le vicaire de Dieu devant administrer avec amour des créatures promises à un avenir après la Rédemption, et qu’il doit bannir les cruautés, même institutionnalisées. D’abord incluse dans une théologie globale de la nature (Visser’t Hooft ; Moltmann), la réflexion sur l’animal devient indépendante, suit sa propre voie à partir du milieu des années 1990 et, bien qu’elle soit encore minoritaire, cette “théologie de l’animal” (Linzey ; Webb) montre l’ampleur de la transformation.

Il ne s’agit pas d’un phénomène strictement interne au protestantisme, qui serait dû à quelques révélations théologiques, mais d’une adaptation progressive aux changements de sensibilités des sociétés concernées par des pasteurs qui les partagent. La structure décentralisée du protestantisme facilite cet ajustement et permet de le vivre au diapason des évolutions sociales, sans trop d’écart chronologique. Dans ces communautés religieuses, la pression sociale est plus forte que l’encadrement ecclésial. Par un effet retour, la conversion protestante renforce les évolutions en les justifiant. On retrouve ici le rôle de représentation et de consolidation sociales attribué aux religions par Durkheim, bien qu’il ne s’agisse plus, par une évolution qu’il n’avait pas prévue, de donner un blanc-seing à l’homme.

Les initiatives catholiques

Du côté catholique, le courant d’opinion qui émerge sur la scène publique au XIXe siècle en appelant au respect des animaux (Traïni), trouve quelques échos auprès d’une minorité de clercs et surtout de fidèles dans les pays les plus développés. Il n’est pas possible de décrire ici cette évolution, diverse selon les contrées. Elle se limite au XIXe siècle à la critique des abus, à la volonté de remplacer la cruauté par la bonté au nom du respect de la création de Dieu et de la protection morale de l’homme, deux arguments anciens mais systématisés. Elle invoque aussi parfois la compassion au nom d’un meilleur rendement des bêtes. Cette critique se transforme peu à peu à partir de la fin du XIXe siècle (plus tôt pour les catholiques anglais). Les arguments anthropocentriques déclinent au profit d’un respect de l’animal en tant que créature vivante, sensible, intelligente et souffrante. Les principes de la domination sont progressivement remis en cause pour aboutir, depuis les années 1930-1970, au refus d’un maître humain omnipotent et à la promotion d’une communauté des vivants basée sur le respect et la fraternité, sur les devoirs de l’homme et les droits de l’animal (Baratay 199-214). Cela se traduit par une opposition croissante aux violences, ainsi que par des interrogations sur l’usage des viandes à partir des années 1880-1890, qui aboutissent à des conversions au végétarisme dans le dernier tiers du XXe siècle. Parallèlement, l’animal est intégré dans l’économie du salut par l’octroi de plus en plus fréquent d’une âme spirituelle, par la croyance de plus en plus certaine à sa survie et à sa présence au paradis, par l’usage de prières, de messes en faveur des bêtes et de pratiques d’inhumation conçues pour elles. Le fossé entre l’homme et l’animal est progressivement comblé bien que l’idée d’une hiérarchie demeure.

D’abord émises par des laïcs plus libres vis-à-vis du magister ecclésial, bien qu’au XIXe siècle les cardinaux Donnet en France et Manning en Angleterre se soient illustrés en la matière, ces idées sont peu à peu reprises par des clercs, notamment des prêtres de terrain, mais qui restent marginaux, voire entourés d’un parfum de scandale (Drewermann 38-44 ; Gilbert). Ce courant renforce le discours ancien d’une nécessaire modération et il incite des membres de la hiérarchie catholique à des positions plus neuves en Angleterre, en Belgique, en Suisse, en Italie. Dans ces pays, des prélats appellent à respecter, à valoriser les animaux, à fonder une éthique globale pour tous les vivants. L’initiative vient aussi de papes, notamment Paul VI, qui demande l’interdiction de tous les jeux cruels envers les bêtes. Elle se développe ensuite avec Jean-Paul II qui, dès les débuts de son pontificat, déclare à des militants allemands que “la protection animale est une éthique chrétienne” (1979), qui félicite la Lega di S. Francesco de s’occuper de “nos frères les plus petits” (1981). Cependant, la papauté reste sur le terrain de la morale et de la pratique, sans (encore ?) remettre en cause l’édifice théologico-philosophique affirmant la singularité, la suprématie et le droit de l’homme, à la différence des protestants. En revanche, les épiscopats espagnol et français restent très en retrait, si l’on excepte, en France, l’éphémère épisode du catéchisme national de 1937 qui condamnait la souffrance inutile, ou quelques positions contemporaines, individuelles et sporadiques (Baratay 289-302). À la différence du monde protestant, l’organisation hiérarchisée de l’Église catholique, qui se conçoit comme une société autonome, directrice des consciences et dispensatrice d’une religion de groupe, peut expliquer l’attachement aux dogmes établis, la timidité et la lenteur des modifications. Celles-ci sont pourtant réelles en Angleterre, en Belgique, en Suisse
sociétés où le souci de l’écologie en général et de la protection animale en particulier est important, ce qui prouve que le catholicisme peut s’adapter lorsque la pression sociale et la concurrence des autres Églises sont fortes.

Une religion naturellement anthropocentrique ?

On ne peut donc soutenir, comme l’a fait Lynn White, le caractère naturellement anthropocentrique du christianisme (White 1205-1207). L’importance des versets favorables aux animaux dans l’Ancien Testament aurait pu permettre le développement d’une autre conception, celle de François d’Assise. L’anthropocentrisme est la résultante de circonstances historiques. Le christianisme se constitue au moment où l’hellénisme s’impose dans le bassin méditerranéen : apôtres et Pères de l’Église s’appuient sur des philosophies issues d’une civilisation inégalitaire et ethnocentrique. Ces philosophies paraissent d’autant mieux adaptées à la nouvelle religion monothéiste que la venue du Christ-Homme et la rareté des versets concernant les animaux dans le Nouveau Testament semblent le signe d’une élection de l’être humain et d’une restriction de la religion à lui seul. La pérennité de cette conception est permise par la répression cléricale des cultures populaires, en particulier auprès des peuples nouvellement convertis. Ensuite, elle s’enracine peu à peu en Occident, notamment durant le Haut Moyen Âge, lorsque l’homme dominé par la nature se persuade d’être le dominateur pour résister à une évolution contraire et la reprendre en main. Puis, elle se consolide encore à partir du XVIIe siècle, lorsqu’il s’agit de s’extraire peu à peu de cette nature pour la maîtriser (Voisenet, Bestiaire chrétien ; Baratay). L’ancrage de l’anthropocentrisme parmi les populations le renforce dans une Église chargée de théoriser et de maximaliser leurs aspirations, et il se produit ainsi une interaction continue. À l’inverse, l’établissement du protestantisme, puis l’autonomie de plus en plus forte des laïcs dans les zones catholiques, tous deux facilitent une revalorisation de l’animal dans les pays industrialisés, paradoxalement les plus détachés de la nature. Cette dialectique société-religion peut expliquer les différences actuelles entre les pays occidentaux, ceux du nord étant globalement (il faudrait nuancer dans le détail) plus sensibles à l’écologie et à la protection de l’animal que ceux du sud. Reste à savoir si ce clivage va s’accentuer ou, cela semble plus probable, si le catholicisme, poussé par les transformations sociales, à condition qu’elles persistent, va évoluer dans le même sens et amplifier ce qui deviendrait une inflexion majeure dans son histoire.

Cette analyse historique permet de prendre du recul vis-à-vis du débat théologico-philosophique sur l’animal, qui ne déclenche en rien l’évolution évoquée, mais qui sert surtout à justifier, entretenir et défendre telle ou telle attitude. L’analyse permet aussi de se garder de croire en l’existence d’une, et une seule, position chrétienne, inhérente au christianisme, et d’une représentation consubstantielle à l’Occident par son intermédiaire. La magistrale typologie des conceptions de la nature, et des relations avec elle, construite par Philippe Descola (2005) a l’immense intérêt de montrer leur diversité à l’échelle de l’humanité et de relativiser chacune d’elle. Mais à l’inverse, cette même typologie a l’inconvénient de faire croire, en insistant sur leur ancrage structurel dans les diverses cultures, à des représentations de la nature inhérentes, consubstantielles à ces cultures. Cependant, nous venons précisément de voir comment l’une de ces représentations, trop facilement qualifiée d’occidentale, a été construite, comment elle s’est imposée, et comment elle est actuellement de plus en plus contestée et déconstruite au profit d’une autre. Car le cas animal s’avère exemplaire de ce qui a été fait et de ce qui est en train de se produire à l’échelle de la création/nature dans son ensemble, pour laquelle une représentation longtemps conçue commechrétienne/occidentale/normale est aussi en train de se défaire et une autre de s’édifier, parce que plus adaptée à une nouvelle conception de la place et de l’action de l’homme dans la nature.

Œuvres citées

Baratay, Éric. L’Église et l’animal (France, XVIIe-XXe siècle). Paris : Cerf, 1996. Print. Berlioz, Jacques, éd. L’Animal exemplaire au Moyen Âge. Rennes : PUR, 2000. Print. Bodson, Liliane. “Évolution du statut culturel du serpent dans le monde occidental de
l’Antiquité à nos jours”. Histoire et animal. Vol. II. Toulouse : Presses de l’I.E.P.,
1989. 525-548. Print.
Borgeaud, Philippe, éd. L’animal, l’homme, le dieu dans le Proche-Orient Ancien.
Louvain : Peeters, 1984. Print.
Bottéro, Jean. “L’homme et l’autre dans la pensée babylonienne et la pensée israélite”.
Hommes et bêtes. Éd. Leon Poliakov. Paris : Mouton, 1975. 103-113. Print. Caprotti, Erminio. “L’âme des bêtes dans la pensée occidentale depuis l’Antiquité jusqu’au siècle des Lumières”. Histoire et animal. Vol. II. Toulouse : Presses de
l’I.E.P., 1989. 223-239. Print.
Chalier, Catherine. L’Alliance avec la nature. Paris : Cerf, 1989. Print.
Drewermann, Eugen. De l’immortalité des animaux. Paris : Cerf, 1992. Print.
Descola, Philippe. Par delà nature et culture. Paris : Gallimard, 2005. Print.
Dictionnaire de théologie catholique. Paris : Letouzey et Ané, 1930. Print.
Durkheim, Émile. Les formes élémentaires de la vie religieuse. Paris : Alcan, 1912. Print. Flecha, José Ramón. Il Rispetto del creato. Milano : Jaca Book, 2001. Print.
de Fontenay, Élisabeth. Le silence des bêtes, la philosophie à l’épreuve de l’animalité.
Paris : Fayard, 1998. Print.
Fudge, Erica. Perceiving Animals : Humans and Beasts in Early Modern English Culture.
Chicago : University of Illinois Press, 2002. Print.
© Ecozon@ 2011 ISSN 2171-9594
136
Vol 2, No 2
Author : Baratay, Éric ; Title : Le Christianisme et l’Animal : Une Historire Difficile
— -. Brutal Reasoning : Animals, Rationality And Humanity in Early Modern England. Ithaca : Cornell University Press, 2008. Print.
Gilbert, Guy. La magie des animaux. Aimons ces bêtes qui nous rendent humains. Paris : Rey, 2010. Print.
Gilhus, Ingvild Sælid. Animals, Gods and Humans : Changing Attitudes to Animals in Greek, Roman and Early Christian Thought. Londres : Routledge, 2006. Print.
Gonthier, Thierry, éd. Animal et animalité dans la philosophie de la Renaissance et de l’Âge classique. Louvain : Peeters, 2005. Print.
Guichet, Jean Luc, éd. De l’animal machine à l’âme des machines. Paris : PU Sorbonne, 2010. Print.
Guizard-Duchamp, Fabrice. Les Terres du sauvage dans le monde franc (IVe-IXe siècle). Rennes : P.U. Rennes, 2009. Print.
Laurioux, Bruno. “Manger l’impur. Animaux et interdits alimentaires durant le haut Moyen Âge”. Histoire et animal. Vol. II. Toulouse : Presses de l’I.E.P., 1989. 73-87. Print.
Linzey, Andrew. Animal Theology. Chicago : University of Illinois Press, 1995. Print. McQueen Grant, Robert. Early Christians and Animals. Londres : Routledge, 1999.
Print.
Moltmann, Jürgen. God in Creation. London : SCM Press, 1985. Traduction : Dieu dans
la création. Paris : Cerf, 1988. Print.
Neusch, Marcel, éd. Le Sacrifice dans les religions. Paris : Beauchesne, 1994. Print. Parayre, Dominique, éd. Les animaux et les hommes dans le monde syro-mésopotamien
aux époques historiques. Supplément n°2. Topoï, 2000. Print.
de Pury, Albert. Homme et animal, Dieu les créa. Les animaux dans l’Ancien Testament.
Genève : Labor et Fides, 1993. Print.
Spittler, Janet E. Animals in the Apocryphal Acts of the Apostles : The Wild Kingdom of Early Christian Literature. Tübingen : Mohr Siebeck, 2008. Print.
Stenger, Marc, dir. Écologie et création. Paris : Parole et silence, 2008. Print.
Stroumsa, Guy. La fin du sacrifice. Les mutations religieuses de l’Antiquité tardive.
Paris : Odile Jacob, 2005. Print.
Thomas, Keith. Man and the Natural World, Changing Attitudes in England, 1500-1800.
Harlow : Penguin Books, 1983. Traduction française : Dans le jardin de la nature. La mutation des sensibilités en Angleterre à l’époque moderne (1500-1800). Paris : Gallimard, 1985. Print.
Traïni, Christophe. La cause animale (1820-1980). Essai de sociologie historique. Paris : PUF, 2011. Print.
Van Steenberghen, Fernand. Le Thomisme. Paris : P.U.F., 1992. Print.
© Ecozon@ 2011 ISSN 2171-9594137 Vol 2, No 2
Author : Baratay, Éric ; Title : Le Christianisme et l’Animal : Une Histoire Difficile
Vincent-Cassy, Mireille. “Les animaux et les péchés capitaux : de la symbolique à l’emblématique”. Le monde animal et ses représentations au Moyen-Age (XIe-XVe siècles). Toulouse : PU Mirail, 1985. 121-132. Print.
Visser’t Hooft, M. “L’homme et la création”. Deux mille ans de christianisme. III. Paris, Société d’histoire chrétienne, 1975. 281-282. Print.
Voisenet, Jacques. Bestiaire chrétien. L’imagerie animale des auteurs du Haut Moyen Âge. Toulouse : P.U. Mirail, 1994. Print.
— -. Bêtes et hommes dans le monde médiéval. Tournai : Brepols, 2000. Print.
Webb, Stephen H. On God and Dogs. A Christian Theology of Compassion for
Animals. New York : OUP, 2002. Print.
White, Lynn. “The Historical Roots of Our Ecological Crisis”. Science 155 (1967) :
1203-1207. Traduction : “Les racines historiques de notre crise écologique”, dans Goffi, J.-F. Le Philosophe et ses animaux. Du statut éthique de l’animal. Nîmes : Chambon, 1994. 291-309. Print.
© Ecozon@ 2011 ISSN 2171-9594
138
Vol 2, No 2