Si le nouveau pape a choisi le nom de François par dévotion à St.François d’Assise et que cela signifie pour lui non seulement un dévouement aux pauvres mais une attention au sort des animaux, alors, dans l’émissionVivre avec les bêtes, nous accueillons son pontificat dans l’espoir qu’il changera en profondeur la doctrine catholique à ce sujet . Mais il faut savoir que les fidèles de l’association Notre Dame de toute pitié pratiquent déjà un charité toute franciscaine en faisant bénir leurs animaux par des prêtres, le jour de la St François.
Au cours des âges, l’Eglise officielle n’a manifesté aucune considération envers les animaux. Et ce, pour deux raisons. D’abord, le sacrifice du christ ayant remplacé les sacrifices animaux des anciens hébreux et des anciens Grecs, les bêtes ne furent plus associés aux hommes et aux dieux ou à Dieu par ces immolations, cruelles certes, mais porteuses de sens. Le catholicisme a donc institué une rigoureuse lignes de partage, craignant toujours de voir se rétablir, et surtout dans les campagnes, des pratiques païennes qui unissent les hommes et les bêtes, et que pourraient par exemple justifier la croyance à la transmigration des âmes,.
Ensuite, le mystère de l’incarnation qui révèle que Dieu s’est fait homme, et le mystère de la rédemption qui révèle que le christ est mort pour tous les hommes, mais seulement pour les hommes, ces vérités de foi ont renforcé l’anthropocentrisme chrétien et fondé un humanisme théologique qui n’accordait plus aucune considération aux vivants non humains.
L’Eglise n’aura donc prescrit aucun devoir particulier envers les animaux, ceux-ci n’ayant plus d’autre existence qu’allégorique, comme les animaux des évangélistes, le lion de Marc, le taureau de Luc et l’aigle de Jean. C’est ainsi que les prêtres auront pu bénir la chasse et la corrida, et que le pape au milieu du 19ème siècle aura refusé de soutenir la fondation de la SPA .
Pourtant il y a eu au cours de l’histoire des exceptions que nous rappelle Jean Bastaire, écrivain catholique et ami des bêtes. Quand on évoque une grande religion, on ne doit pas s’en tenir à l’institution officielle, il faut aussi prendre en compte ce qui a en quelque sorte échappé à cette institution, ce qui l’a débordé. Des paroles et des gestes de bienveillance envers les bêtes ont existé tout au long de l’histoire de l’Eglise, et pas seulement dans la spiritualité de Saint François d’Assise ou chez quelques mystiques parfois marginaux. Je songe à des courants théologiques anciens Par exemple, la vision de "la croix cosmique", au troisième siècle de notre ère, qui enseignait que toute la création participait à la croix du Fils de Dieu. Dans l’orient byzantin, Isaac le Syrien avoue je cite « prier en larmes, à toute heure, pour les animaux sans raison (...) Dans l’immense compassion qui se lève en son cœur, sans mesure, à l’image de Dieu, il prie même pour les serpents . »fin de citation Beaucoup plus tard, de grands mystiques diront voir dans les créatures animales des "vestiges" du Créateur.
Mais c’est peut-être dans ce dix septième siècle français, si mécaniste, si funeste aux vivants non humains chez Pascal comme chez Descartes, que se manifeste de la façon la plus déconcertante une spiritualité empreinte de tendresse envers les bêtes. Saint François de Sales et le Cardinal de Bérulle, condamnaient la chasse et semblaient tentés par le végétarisme bien que cette pratique soit condamnée par l’Eglise comme dangereusement païenne.
Je voudrais évoquer deux écrivains français qui ont réconcilié les animaux avec le catholicisme. Claudel, d’abord, qui n’hésite pas à contredire la doctrine de St Augustin, selon laquelle les hommes ont été créés comme individus alors que les animaux l’ont été en tant qu’espèces. Je cite Claudel : "Il ne faut même pas dire le rat, le chien, mais tel rat, tel chien. Chacun d’eux a une personnalité et un nom propre. Chacun d’eux se développe dans les limites d’une charte qui dépasse la nécessité utilitaire. Chacun a à réaliser son propre poème, à jouer son propre personnage, à se servir pour son compte des moyens de la tribu." Fin de citation.
Claudel dénonce le fait qu’il n’y a plus déjà à son époque, la 1° moitié du 20ème siècle, de lieu de rencontre entre les hommes et les bêtes. Il considère que cette terre est "désaffectée", et que le "licenciement" des animaux domestiques qui ne travaillent plus avec nous alors que nous les mangeons toujours davantage, révèle la disparition de Dieu. C’est cet abandon qui a causé la désaffection, la désamination de l’animal, comme si l’homme avait fait taire les cieux qui chantaient la gloire du créateur. Claudel se réclame de la Bible. Je cite : "Dans le récit de l’Exode, il y a un mot bien remarquable. L’écrivain sacré ne dit pas tous les animaux, mais tous les animants , tout ce qui a une âme et fait partie de notre âme, tout ce qui aide notre âme à passer à l’acte et à l’expression. L’âme perd ce qui l’anime, le bœuf travailleur, l’âne héroïquement résigné, le chien aimant, le chameau contemplatif et sobre, la poule fureteuse et gloutonne, l’agneau du sacrifice, la brebis féconde et chargée de laine, le porc lui-même hilare et savoureux, tout cela est désaffecté, tout cela a perdu son intérêt, tout cela est mort, il n’y a plus que des machines utiles, des magasins vivants de matière première que nous manœuvrons d’une main molle et dégoûtée. Les serviteurs de l’âme sont morts. Elle n’est plus servie que par des cadavres vivants." Fin de citation.
Un autre écrivain, de la fin du 19ème siècle et que Claudel aimait beaucoup, Léon Bloy, raconte dans un roman intitulé La Femme pauvre une scène qui se passe dans un lieu de pèlerinage . A une table d’hôtes, des commerçants et des prêtres se moquent avec vulgarité d’un homme triste et digne qu’ils traitent d’” homme aux bêtes" . Je cite Léon Bloy. "Le pauvre être qui servait de tête de turc à ces brutes était une espèce de végétarien, perpétuellement travaillé du besoin d’expliquer son abstinence. Sous quelque prétexte que ce fût (...) il n’admettait pas que l’on tuât les bêtes, et par conséquent il s’interdisait de manger leur chair, ne voulant pas se rendre complice de leur massacre." Les "brutes qui l’entouraient ," écrit Bloy, "meuglaient” et aboyaient pour mieux railler ce chrétien qui osait dire pourquoi il était végétarien. L’estocade lui fut par un prêtre gouailleur. Je cite : "Vous portez des souliers de cuir, un chapeau de feutre, des bretelles, peut-être, vous servez en ce moment d’un couteau dont le manche est en os. Comment pouvez-vous concilier de tels abus avec les sentiments fraternels que vous venez d’exprimer, songez-vous qu’il vous a fallu égorger d’innocents quadrupèdes pour que ce faste criminel vous soit accordé ?" L’hilarité des convives atteignit alors son comble, et quand le narrateur osa regarder enfin le "souffre douleur : il le vit pleurer, le visage dans ses deux mains." Le lendemain, il le revit et celui-ci lui dit : "Je suis véritablement fait comme cela. J’aime les animaux, quels qu’ils soient, presqu’autant qu’il est possible ou permis d’aimer les hommes, quoique je sache très bien leur infériorité. J’ai quelques fois désiré, je l’avoue, d’être tout-à-fait imbécile, afin d’échapper complètement aux faux raisonnement de l’orgueil. J’aime les bêtes parce que j’aime Dieu et que je l’adore profondément dans ce qu’il a fait. Quand je parle affectueusement à une bête misérable, soyez persuadé que je tâche de me coller ainsi plus étroitement à la Croix du Rédempteur. » Et son personnage ajoute : La cruauté des hommes envers les bêtes vient de ce qu’ils « ignorent je cite que les animaux sont, "dans nos mains, les otages de la beauté céleste vaincue", « les détenteurs d’un secret sublime que l’humanité aurait perdu (...) et que leurs tristes yeux couverts de ténèbres ne peuvent plus divulguer (...) » fin de citation
Eugène Drewermann, théologien allemand, prêtre suspendu par l’Eglise, a écrit un livre émouvant intitulé De l’immortalité des animaux dans lequel, interrogeant des textes de l’Ecriture, il réclame une vision de la vie après la mort qui soit moins restrictive et qui inclurait les bêtes. A cet acte de foi dans l’immortalité des animaux, je répondrai que là n’est pas la question, car ce n’est pas l’espérance qui nous fait défaut mais la responsabilité. Je veux dire simplement ceci : il importe, dans l’urgence, que ce soit ici et maintenant que se réalisent davantage de bonheur et davantage de justice les bêtes qui n’ont pas accès à un sens durable, et qui sont plus radicalement encore que les hommes, dénuées de droits.