Synthèses des 3 colloques L’Église et les animaux - Jean Gaillard

, par Pierre

En attendant la publication des actes Jean Gaillard nous partage une synthèse des trois colloques. En complément à la fin, nous avons aussi inclus trois réactions des participants

Nos colloques consacrés à "L’Église et les animaux" ont enfin été réalisés malgré les difficultés causées par l’épidémie de Covid-19. Ils se sont déroulés les samedis 29 mai, 9 octobre et 27 novembre, à Paris, dans le cadre des activités du Centre Sèvres, Facultés Jésuites. On pouvait aussi y participer en distanciel sur Internet.

I. Le premier colloque a eu lieu le samedi 29 mai.
Intitulé : "Quelle place pour les animaux dans l’Église ?", il a rassemblé 45 personnes, dont la moitié à distance. Le Père Éric Charmetant, assisté par Estela Torres en dirigeait le bon déroulement.

La matinée a été consacrée à la manière dont s’est élaborée la vision catholique des animaux.

D’abord, Pascaline Turpin s’est penchée sur l’époque patristique et le Moyen-Âge, en analysant la pensée des deux grands théologiens : saint Augustin (5ème siècle) et saint Thomas d’Aquin (13ème siècle).
Pour mieux comprendre la foi chrétienne, les Pères se sont servis de la philosophie grecque de leur époque. Cette dernière très anthropocentrique les a conduits à s’intéresser surtout à la destinée de l’Homme, en laissant de côté le reste de la Création. Saint Augustin s’est avant tout appuyé sur la théorie de l’âme de Platon pour contredire les gnostiques.
Son influence a été énorme sur le Moyen-Âge ; saint Thomas d’Aquin, bien que suivant Aristote plus ouvert au monde, conserve sa vision du cosmos : une belle pyramide qui s’élève de la matière à Dieu, l’homme faisant le lien entre les mondes terrestre et divin, car il est à la fois matière et esprit.

Éric Baratay a ensuite évoqué l’attitude de l’Église qui a été fluctuante à l’époque moderne. Il s’étend sur le XXe siècle : après une certaine ouverture aux animaux dans la première moitié, elle les a résolument écartés dans la seconde moitié, pour ne plus s’intéresser qu’à l’homme et ses activités ; mais une évolution plus favorable se manifeste de nos jours.

Les réflexions de Fabien Revol et du Père Robert Culat sur Laudato Si ont illustré cette tendance, même si l’encyclique reste encore très anthropocentrique.

L’après-midi, le thème portait sur les réticences actuelles de l’Église.
Elle a commencé par une table-ronde, qui réunissait des chrétiens qui s’engagent dans la défense animale. Jean Gaillard a d’abord rappelé que l’indifférence de l’Église au sort des animaux éloigne d’elle beaucoup de ceux qui les aiment. Danielle Raabe, Estela Torres, Benoit Calmels ont donné divers témoignages concrets ; et l’Abbé Olivier Jelen a parlé de ce qu’il faisait pour sensibiliser ses paroissiens.

Ensuite Olivier Landron et le Père Dominique Lang ont cherché des raisons à cette attitude de l’Église. La volonté de simplifier la liturgie a fait écarter les animaux des cérémonies religieuses. Surtout l’adoption de la théorie de l’évolution a ancré cette idée que les espèces animales n’ont été qu’un moyen nécessaire à l’apparition de l’homme et n’ont pas de valeur en soi. Puis l’admiration des progrès techniques a renforcé la conviction qu’il peut se servir à sa guise de tous les éléments naturels et les exploiter selon son intérêt. Le remplacement de la vision statique et hiérarchisée de l’univers où chaque créature occupe sa place, par une vision évolutive où l’avenir de l’univers ne dépend que de la pointe de la flèche (c’est-à-dire l’homme), aurait pu favoriser un rapprochement avec le monde animal ; mais en fait, il a au contraire éloigné davantage l’homme des autres vivants.
En conclusion, Mgr Vuillemin a encouragé les défenseurs des animaux à poursuivre leurs efforts de réflexion, tout en notant la difficulté pour les évêques de faire des déclarations officielles sur des sujets complexes qui divisent les chrétiens.

II. Le deuxième colloque a eu lieu le samedi 9 octobre sur le thème :
"Quel salut pour les animaux ?", encore au Centre Sèvres. Se sont inscrites 65 personnes, une vingtaine de plus qu’au premier. Une moitié a participé en présentiel sur place et une autre moitié en distanciel par Internet sur Zoom. Six conférenciers, français et étrangers, ont présenté un exposé : deux Français, deux Anglais, un Belge et un Italien. Deux étudiants du Centre Sèvres bilingues assuraient la traduction de l’anglais au français.
Étaient présents : P. Éric Charmetant, Florence Burgat, Carmody Grey et Pietro Chiaranz ; Didier Luciani et David Clough ont parlé à distance.
Pour la conduite du colloque, Estela Torres assistait le P. Charmetant, et Benoit Calmels a tiré la conclusion, de Toulouse. A midi, les personnes qui le désiraient ont partagé un repas végétarien.

Le matin, la séance a commencé par une réflexion du P. Charmetant sur la subjectivité animale en s’appuyant sur les neurosciences et l’éthologie. Il a éclairé l’opposition entre les notions d’instinct et l’intelligence, et aussi entre celles de nature et culture. Tout en évitant l’anthropomorphisme, il faut considérer les animaux comme des sujets conscients.
Florence Burgat a prolongé ces réflexions en scrutant la part prise par l’inconscient dans le comportement des animaux. Ils ne sont pas seulement soumis à des instincts venus de l’évolution, mais possèdent aussi une réelle profondeur psychique.
Après, Didier Luciani a analysé des versets bibliques qui parlent des animaux. Il a montré les diverses manières dont la Bible voit le monde animal ; et exposé les façons variées, et parfois opposées, dont ont été interprétés ces versets.

L’après-midi, des théologiens catholique, protestant et orthodoxes ont fait le point sur les recherches en théologie animale à notre époque en vue d’approfondir la place des animaux dans le plan de Dieu d’économie du salut. Sont successivement intervenus :

  • pour le catholicisme Carmody Grey, qui a insisté sur le changement apporté par l’encyclique Laudato Si.
  • pour le protestantisme David Clough, qui a noté que pour promouvoir le respect des animaux l’idée d’un salut n’est pas indispensable.
  • pour l’orthodoxie Pietro Chiaranz, qui a montré que plus l’homme se rapproche de Dieu plus il se rapproche aussi des animaux.

Leurs exposés ont mis en lumière des manières parfois différentes, mais convergentes d’aborder la question animale. Dans la table-ronde qui a suivi, ils ont répondu aux questions des participants. En conclusion, il ressort que chaque confession chrétienne doit se pencher sur sa propre tradition pour l’approfondir. - Je devais intervenir dans cette table-ronde, mais un incident technique n’a pas permis la transmission du son ; et les gens n’ont vu que mon visage sur l’écran sans entendre mes paroles…

Pour finir, Benoit Calmels a tiré les conclusions du colloque. Nous avons été très satisfaits de son déroulement. Nous qu’il a contribué à faire progresser la cause animale dans le milieu chrétien, car il a été l’occasion d’interviews sur le réseau des radios chrétiennes de France (RCF) et la télévision catholique KTO.

Au début de l’année prochaine paraîtront les actes de la série de nos trois colloques. Ils contiendront l’essentiel des diverses interventions.

III. Nous avons tenu le troisième et dernier colloque le samedi 27 novembre, toujours au Centre-Sèvres. Tous les intervenants étaient présents à Paris, sauf Margarita Carretero qui était en distanciel, comme Jean Gaillard et Benoit Calmels. Ont parlé en anglais : David Clough, John Berkman, Chris Fegan ; mais une traduction française était assurée. Cette journée s’est déroulée dans la même ambiance amicale que les précédentes.

Le matin, David Clough, aidé par Estela Torres, a dressé un très sombre tableau, avec de nombreux chiffres à l’appui, de la manière trop souvent cruelle dont les humains utilisent les animaux pour les usages les plus divers : nourriture, vêtement, transport, recherche, loisirs… Des milliards d’animaux sont sacrifiés chaque année avant tout pour l’alimentation. Aujourd’hui, les animaux domestiques sont beaucoup plus nombreux que les animaux sauvages.

Puis le Père Éric Charmetant, secondé par Alain Cugno, a réfléchi sur le conflit spécisme et antispécisme. Après un rappel de ces deux positions opposées, il a montré que dans leur forme extrême, elles sont toutes deux inadaptées à la réalité. Pour surmonter la querelle très active actuellement il préconise une voie intermédiaire qui unit ce que chaque théorie a de juste : l’anthropocentrisme écocentré qui étend la sphère morale au-delà de la vie humaine et intègre l’éthique animale. Il faut reconnaître la place particulière de l’Homme dans la Création, qui lui impose une responsabilité particulière à l’égard des autres créatures. L’écocentrisme doit renouveler l’humanisme, car il n’y a pas lieu d’opposer humanisme et antispécisme bien compris.

Et pour finir, John Berkman, avec comme répondante Dominique Coatanea, a exposé une manière originale d’élaborer une éthologie théologique, en s’appuyant sur la doctrine de S. Thomas interprétée autrement dans l’optique de Laudato Si. Ce qui doit conduire à un meilleur respect des animaux.

L’après-midi, David Clough a repris la parole sur le thème d’une évaluation morale de l’élevage des animaux pour l’alimentation, car manger des animaux est une question d’importance religieuse. Il en tire les conclusions que les chrétiens devraient soutenir les changement s visant à réduire la consommation d’animaux, et ceux visant à améliorer le bien-être des animaux d’élevage.

Après lui, trois personnes ont successivement abordé brièvement les défis d’une éthique chrétienne appliquée aux animaux dans trois pays européens :

  • France : Le Père Robert Culat a regretté que les responsables religieux n’abordent souvent la question des animaux que par rapport aux besoins humains. Or l’enseignement religieux doit au contraire insister sur le devoir de les aimer comme créatures de Dieu.
  • Espagne : Margarita Carretero déplore le silence des évêques sur les cruautés commises sur les animaux lors des fêtes religieuses en particulier la corrida. Et cela l’a amenée à quitter l’Église, mais elle reste très attachée à sa foi au Christ.
  • Angleterre : Chris Fegan, directeur du Catholic Concern for Animals, rappelle quelques actions menées par ce mouvement auprès des autorités religieuses et des fidèles. Il exprime le vœux que pour le temps de l’Avent, les chrétiens ne se nourrissent que de produits végétaux.

Ensuite les divers intervenants ont répondu aux questions posées par les participants présents ou par Internet. Puis Benoit Calmels a eu la lourde tâche de faire la synthèse des échanges de la journée.

Et pour finir, les trois organisateurs : P. Éric Charmetant, Estela Torres, Jean Gaillard, ont à tour de rôle exprimé leur satisfaction pour le bon déroulement des trois colloques et exprimé la volonté qu’ils aient un prolongement par d’autres initiatives.

Courant 2022, paraîtront les actes de la série de nos trois colloques. Ils contiendront l’essentiel des diverses interventions.

Des réactions

La FRA - Fraternité pour le respect des animaux a organisé conjointement avec le Centre Sèvres (Paris) et Notre Dame de Toute Pitié un colloque autour de la question animale approchée dans une perspective chrétienne. Une initiative importante car elle est pionnière et essentielle pour réparer les liens souvent abîmés entre les chrétiens et les animaux. Nous attendons les actes prévus en 2022 avec impatience !
Christine Kristof, Anima Terra, CUT https://vivrerelies.org/revue, https://www.animaterra.fr/

Je tenais vraiment à vous remercier pour ce cycle de 3 conférences. C’était très riche pour moi.
En particulier, cela m’a donné des points d’appui pour discuter avec des chrétiens, autres que ceux de la protection animale.
Je pense que c’est le début d’une grande aventure. Il faudra du temps pour entraîner les catholiques français, mais c’est vraiment nécessaire et capital de faire ce travail.

Benoît

Texte apparu dans la Newsletter Maison Commune de CUT -Chrétiens Unis pour la Terre
par Priscille de Poncins

Priscille raconte... sa découverte de la théologie des animaux

Le 27 novembre 2021, j’ai assisté au centre Sèvres à Paris en collaboration avec Notre Dame de Toute Pitié et la Fraternité pour le Respect Animal à un colloque sur « Quelle éthique chrétienne pour les animaux ? ». Il clôturait 2 journées de colloque sur "Les animaux ont-ils leur place dans l’Église ?" (mai 2021) et « Quel salut pour les animaux ? » (octobre 2021). Un constat : des changements dans notre pratique sont attendus depuis longtemps.

David CLOUGH, professeur de théologie à l’Université d’Aberdeen (UK), a dressé un état des lieux de ce que font les humains aux animaux. L’utilisation des animaux pour l’alimentation est majoritaire : « En 1900, la biomasse totale des animaux terrestres d’élevage était 3,5 fois supérieure à la biomasse des mammifères terrestres sauvages contre 24 fois supérieure en 2000. On consomme environ 6 trillions (milliards de milliards) par an de poissons. » Les animaux sont aussi utilisés pour les textiles, pour le travail dans l’agriculture, pour l’expérimentation scientifique, pour les loisirs ou la compagnie et l’impact des humains sur les animaux sauvages (chasse, bétonisation de la nature etc.) est très fort. Puis, le philosophe jésuite Eric CHARMETANT m’a passionnée en disant qu’au-delà du conflit entre spécisme qui prend en compte la préférence des humains pour leur espèce et anti-spécisme notamment avec Peter SINGER qui a mis en avant la souffrance animale, on pouvait dessiner les contours d’une éthique animale qui serait un "anthropocentrisme écocentré panenthéiste". Selon lui, le biocentrisme, en sacralisant la vie, rend impossible de penser l’alimentation humaine des animaux. Et "anthropocentrisme", car penser les devoirs spécifiques d’appartenance à la communauté morale humaine est nécessaire. Il faut dépasser la hiérarchie des capacités entre le singe et l’enfant ou la personne handicapée de Peter SINGER pour penser, avec Corine PELLUCHON via l’éthique biomédicale, les capabilités des personnes qui ne s’expriment pas d’elles-mêmes sans intervention des proches.
Ensuite John BERKMAN, professeur de théologie morale - Université de Toronto, nous a invités à découvrir les vertus (altruisme, aptitude au don...) observées chez les chimpanzés par les éthologues. Ces "vertus" ont été exposées par Albert le grand et Thomas d’Aquin. Ces découvertes méritent de revisiter la théologie morale.
Enfin, après David CLOUGH qui a présenté les résolutions du Rapport du CEFAW*, projet qu’il a mené avec 13 partenaires dont l’Eglise britannique sur une éthique chrétienne des animaux, 3 témoins français, espagnol et anglais nous ont parlé chacun concrètement d’une éthique chrétienne des animaux dénonçant qui la chasse, qui la corrida ou les courses de chevaux. Enfin, concluant, Éric CHARMETANT et Estela TORRES de la Fraternité pour le Respect animal espèrent qu’à l’image des théologiens anglo-saxons, des théologiens français se saisiront de la question animale pour faire avancer la conscientisation des chrétiens de France sur la souffrance animale.
Ce colloque m’a permis de sortir d’une vision négative de l’antispécisme en honorant notre dette sur la reconnaissance de la souffrance animale tout en sortant de l’impasse de juger uniquement sur les capacités intellectuelles.

* Ethique chrétienne pour les animaux de ferme : https://www1.chester.ac.uk/about-cefaw