Quelle place pour les animaux dans la foi ? Dominique Lang

, par Estela Torres

Le pèlerin n° 6790 du 17 janvier 2013
 
Le bâtiment moderne du 77-78 St Martin’s Lane à Londres n’a plus grand-chose à voir avec le « coffee house » qui s’élevait ici au début du XIXème siècle. Seule une plaque rappelle que là fut fondée, le 16 juin 1824, la première société de protection des animaux. L’endroit, rassembla ce jour-là une vingtaine de militants de la cause animale. Il y avait Richard Martin, un parlementaire catholique irlandais qui avait réussi à faire voter, deux ans auparavant, la première loi au monde de protection des animaux domestiques. A ses côtés, on reconnaissait aussi William Wilberforce, activiste protestant antiesclavagiste célèbre. Et enfin le très actif pasteur Arthur Broome, qui ira jusqu’à faire de la prison pour la cause. Chrétiens convaincus, ils traîneront en justice plusieurs dizaines de responsables de mauvais traitements dont ils avaient été témoins(…).
 
A cette même époque, une mobilisation similaire semblait prendre corps dans d’autres pays, dont la France. Le cardinal Donnet, archevêque de Bordeaux sous le second empire, rêvait même que l’Eglise catholique prenne la tête de ce mouvement. Mais tout cela ne resta qu’un vœu pieux. Même les appels d’un Benoît XV après la première guerre mondiale ou les accents très franciscains d’un Jean Paul II n’y ont rien changé : la cause animale reste toujours secondaire pour une grande majorité de chrétiens.

Tomohiro Inaba

 
Un problème théologique
 
Il faut dire que l’enseignement théologique traditionnel a du mal à considérer que le salut chrétien puisse concerner aussi les autres créatures vivantes. Mais que faire alors des « lys des champs » ou des « oiseaux du ciel » (Mt 6, 26) que cite Jésus pour évoquer le royaume de Dieu ? A la vieille question des philosophes antiques « Les animaux ont-ils une âme ? », des chrétiens comme saint Bonaventure, saint Thomas d’Aquin et René Descartes avaient apporté en leur temps des réponses décisives. Pour eux, si les animaux sont des êtres sensibles et doués d’une certaine raison, ils n’accèdent cependant pas au langage dans sa plénitude et ne peuvent donc pas prétendre être, comme les humains, des images de Dieu. (…)
 
De cet imparable raisonnement, il ne resta plus qu’un pas à franchir pour reléguer les autres formes de vivants non humains au statut de « mécaniques biologiques », dont la fonction première ne serait que de pourvoir aux besoins de l’humanité. Enrobez tout cela dans des conflits théologiques anciens développant une vision assez négative de la matière ou de la chair, dans de rudes pratiques rurales ancestrales(…) et vous obtiendrez tous les ingrédients d’une méfiance récurrente dans les cultures chrétiennes, notamment latines, pour toute attention particulière au statut de la vie animale.
 
Pourtant , s’indignent Hélène et Jean Bastaire, chantres de l’écologie chrétienne, dans La Terre de gloire, Essai d’écologie parousiaque (1), la Création biblique est foncièrement bonne et toutes les créatures y ont une place spécifique. Alors, si « l’homme est formé de cette terre excellente qu’il emporte avec lui dans l’éternité, pourquoi opérer un tri parmi les autres créatures terrestres qui, dédiées au service de l’homme, ne seraient pourtant pas autorisées à le suivre jusqu’au bout ? »
 
(1) La terre de gloire. Essai d’écologie parousiaque, d’Hélène et Jean Bastaire, Ed Cerf,2010, 156p, 16€

La redécouverte d’une tradition 
« Nous sommes là dans une étape intéressante du développement des dogmes », explique Jean Gaillard, cofondateur avec Marguerite Prestreau, il y a quarante ans, du mouvement Notre Dame de Toute-Pitié, la principale association catholique française pour le respect de la création animale. « Le sujet de la dignité animale était bien présent dans la tradition judéo-chrétienne, mais de manière minoritaire. Au fil des siècles, la prise de conscience opère cependant. En ces temps d’urgence écologique, ne sommes-nous pas en train de percevoir des exigences de respect envers toute forme de vie que nous n’avions pas pleinement vues jusque-là ? »
 
Cette intuition pour le respect de la vie dans sa diversité se trouvait déjà chez certains Pères de l’Eglise des premiers siècles. Et on la retrouve aussi dans les Fioretti des vies des saints. Mais si la figure de François d’Assise prêchant aux oiseaux ou au loup de Gubbio est célèbre, qui connaît l’histoire du chien de saint Roch, du cochon de saint Antoine ou des bêtes sauvages guéries par saint Blaise ? Et du côté de la légende chrétienne médiévale, qui se souvient du lévrier Guinefort, véritable figure de sainteté animale, invoquée pour la protection des enfants ?

Fiona Tang

 
LE RESPECT ENVERS TOUTE FORME DE VIE PROGRESSE
 
Si la question revient aujourd’hui, c’est aussi parce que l’évolution de nos modes de vie y pousse. Pour beaucoup de familles ou de personnes seules, les animaux domestiques assurent une précieuse forme de compagnonnage. Si on peut rencontrer parfois des personnes qui, à force d’affection, projettent maladroitement sur l’animal des traits humains, la foi chrétienne peut cependant sereinement reconnaître que le caractère, l’intelligence, les émotions des animaux que nous côtoyons sont source perpétuelle d’émerveillement.
 
D’autant que la science elle-même s’interroge de plus en plus sur la réalité des frontières de ce qui fait l’animal et l’humain : ni le rire, ni les outils, ni le langage, ni l’empathie même, ne constituent plus « le propre de l’homme ». Les choses s’évaluent désormais davantage en termes de degrés que de différences fondamentales.
 
Un écho plus favorable auprès des prêtres
 
Cette sensibilité croissante fait naître dans les Eglises des demandes nouvelles de prières et de bénédictions pour des animaux. « Depuis quinze ans, nous constatons que l’appel au respect de la vie animale trouve un écho plus favorable auprès des prêtres et des communautés », souligne Jean Gaillard. Désormais, on compte annuellement une vingtaine de célébrations en France où sont bénis animaux de compagnie et domestiques.
 
On y retrouve ce que les prières des rogations célébraient déjà et que saint Paul avait pressenti en son temps : c’est bien la Création toute entière qui « aspire de toutes ses forces à voir la révélation des fils de Dieu » (Rm 8, 19).
 
Un théologien référent en éthique animale
 
Les théologiens commencent aussi à s’y mettre, notamment dans le monde anglo-saxon. Le pasteur Andrew Lindsey, professeur à Oxford, est devenu en quelques années une référence dans le domaine de l’éthique animale auquel un département spécifique est dédié au sein de la prestigieuse université depuis 2006. On retrouve chez cet auteur une mise en perspective chrétienne des enjeux de la défense de la cause animale, contestant la vision d’espèces liées uniquement par le lien de la prédation, mais aussi les pratiques des sacrifices animaux rituels, la chasse ou la corrida et toute autre forme, moderne ou ancienne, de maltraitance animale, dans le contexte des industries pharmaceutiques et agroalimentaires modernes.
 
En France, c’est peut être par le biais de « l’animal thérapeute » que les lignes pourront bouger le plus dans la perception des chrétiens. Le prêtre et éducateur Guy Gilbert, qui aide de nombreux jeunes en difficulté à se reconstruire, en favorisant le contact concret avec des animaux au sein de sa ferme du Faucon, en témoigne à sa manière : « Mes chiens m’ont apporté tant d’affection sur cette terre que le paradis ne sera pas trop grand pour les recevoir (1) ! ».
 
Par Dominique LANG, religieux assomptionniste