Le végétarisme chrétien : commentaire sur Saint Basile de Césarée par Alexis Komenan

, par Pierre

Alexis Komenan est ivoirien, diplômé en science politique de l’Université Catholique de l’Afrique de l’Ouest (Unité Universitaire d’Abidjan) et du Centre de Recherche et d’Action pour la Paix (CERAP). Il est l’auteur de plusieurs publications sur Internet.

« Lorsque l’abstinence règne, nul animal ne déplore son trépas : le sang ne coule nulle part, nulle part une voracité impitoyable ne prononce une sentence cruelle contre les animaux : le couteau des cuisiniers se repose ; la table se contente des fruits que donne la nature. »
Saint Basile, évêque de Césarée (in Homélie sur le jeûne, IVe siècle AD)

Lorsque l’abstinence règne : Dès le commencement, DIEU donne aux hommes et aux animaux un régime végétarien [1].

Le végétarisme chrétien doit être pratiqué par toute l’Église [2], non pas seulement par les moines [3], d’autres peuples et des gens ordinaires le pratiquant de surcroît et sans inconvénient.
Nul animal ne déplore son trépas : L’animal est une créature divine. Il est inférieur à l’homme ; il est l’auxiliaire et le sujet de celui-ci. L’animal est, lui aussi, aimé de DIEU et crie vers Lui [4].
Le sang ne coule nulle part : Après le Déluge, la viande (de toute forme animale) est permise et tolérée, en lien avec l’avènement d’un monde barbare, violent et moralement affaibli [5], vices qui persistent malgré le renouvellement survenu. Cependant toute la législation rappelle le respect de la vie des créatures et invite à un retour au végétarisme [6]. En conséquence, la viande n’était licite que sous forme de sacrifice (selon les cas, offrande de réparation, de salut, ou reddition de la vie de l’animal) à DIEU [7]. Ainsi la quasi-totalité de la chair consommée (y compris de poisson) provenait des sacrifices [8].
Le chrétien n’a pas une culture de la mort, mais une culture de la vie [9] ; la nature peut être violente, mais l’homme est celui qui doit y apporter un supplément d’âme [10].

Nulle part une voracité impitoyable ne prononce une sentence cruelle contre les animaux : Avec la venue de JÉSUS-CHRIST, les sacrifices sont caducs et un nouvel ordre de valeurs privilégiant les dispositions intérieures aux déterminismes extérieurs (pur et impur) est établi [11].
C’est ce que le Sauveur et ses Apôtres ont fait et enseigné, se faisant tout à tous [12], mangeant de ce qu’on leur servait de bon cœur [13], mais se contentant, pour eux- mêmes, de la nourriture humble et suffisante [14], et montrant que toute la vie extérieure (dont l’alimentation) doit être la manifestation de dispositions intérieures vertueuses et purifiées.
De là, la sainte Église catholique ne condamne pas la viande en elle-même, au nom de la manifestation de la charité et de la convivialité en société. Cependant, elle invite à s’abstenir de ce qui est inessentiel et parasite des vertus et de la spiritualité (tempérance, bonté envers les hommes et les autres créatures, etc.). Car, comme le dit saint Paul Apôtre, « tout est permis, mais tout n’est pas utile » [15].
Or, les désirs inconsidérés, mauvais, égoïstes font compter pour rien la vie des autres hommes et des autres créatures, répandant et perpétuant ainsi le règne du Diable dans le monde [16].
S’abstenir de chair par négation des œuvres divines ou par orgueil est une chose ; s’en abstenir par vertu (humilité, tempérance, bonté envers les animaux) est une autre chose.

Le couteau des cuisiniers se repose : L’industrie humaine ne sert plus à satisfaire des désirs excessifs, superficiels, illégitimes, mais se recentre sur les besoins nécessaires et réellement bénéfiques à l’épanouissement de l’homme [17].

La table se contente des fruits que donne la nature : Le végétarisme authentique (Genèse 1, 29-30 ; Siracide 39, 26), ou abstinence perpétuelle, donné par DIEU dès l’origine à l’humanité, n’est ni une invention humaine, ni une « doctrine de démons [18] », ni une alimentation pauvre, carencée ou sans convivialité. C’est l’alimentation naturelle, d’origine divine, donc biologiquement adaptée, donnée à l’homme. C’est l’alimentation humble, simple en apparence mais riche et joyeuse [19] en réalité, qui préserve la vie des animaux ; qui, non dénaturée et non dégénérée [20], répond à ses véritables besoins physiologiques, biologiques [21], psychologiques [22] et spirituels [23].

Ainsi, le végétarisme est rétabli comme un principe du christianisme et un pilier de la sainte Église.

Textes utiles

Notes

[1Genèse 1, 29-30 et la nourriture naturelle pour l’homme et les animaux ; Siracide 39, 26 et la nourriture nécessaire de l’homme, parmi les besoins de base ; saint Basile, Homélie sur le jeûne ; saint Jérôme, Contre Jovinien. Ce principe, qui a connu des adaptations, n’a jamais été révoqué.
Noter l’intelligence des dispositions divines dans une Création alors harmonieuse et disposée pour le Sacrifice perpétuel. C’est en Genèse 1, 26-31 à 2, 1-4 qu’il faut comprendre la philosophie politique, l’économie et l’écologie véritables, différentes des patho-logiques modernes purement horizontales et matérialistes, lesquelles laissent découvrir de nombreuses contradictions parce qu’ignorantes de la rationalité divine (par exemple, marchandisation babylonienne de toute création évoquée par Apocalypse 18, 11-13 ; humanisme ambigu, équivoque, dégénéré).

[2Actes 15, 28-29 ; Actes 21, 25 et l’abstinence des viandes sacrifiées ou idolothytes (la quasi-totalité de la viande consommée dans l’Antiquité étant sacrifiée, c’est-à-dire, tuée en offrande ou avec la permission des dieux) et de sang (de ce qui a vie, c’est-à-dire les animaux même, et toute chair étouffée, consommée sans libération du principe vital) et de ce qui est étouffé ; Romains 14 et l’abstinence de la nourriture non profitable au progrès spirituel (en particulier chair et alcool) ; 1 Corinthiens 8 et 10 et l’abstinence des viandes sacrifiées, car liées aux démons, ou par convenance, car sujettes à caution et potentiellement causes de scandale ; Apocalypse 2, 14 et 20 et le laxisme naissant vis-à-vis des viandes sacrifiées (qui ont malheureusement fini par être tolérées, au nom de la liberté chrétienne, puis acceptées, de surcroît avec la désacralisation et la réification des animaux) ; Didachè, VI, 2 et l’abstinence des viandes sacrifiées aux idoles (« culte rendu à des dieux morts ») ; tous les Apôtres (in Eusèbe de Césarée, Démonstration évangélique, III) ; saint Pierre Apôtre (in Recognitions attribuées à saint Clément de Rome, VII, 6 ; in saint Grégoire de Nazianze) ; saint Jacques Apôtre le frère du Seigneur (in Eusèbe de Césarée, Histoire ecclésiastique, II, 23 ; saint Augustin, Epistulae ad Faustum, XXII, 3) ; saint André Apôtre (traditions ecclésiastiques éthiopienne et roumaine) ; saint Matthieu Apôtre (in Clément d’Alexandrie, Le Pédagogue, II, 1) ; églises et sectes judéo-chrétiennes (in saint Épiphane, Panarion, I ; Mgr Jean Cardinal Daniélou, Théologie du judéo-christianisme, p. 466-469) ; au sein de toute l’Église (in saint Augustin, Des mœurs de l’Église catholique, 33). Autres informations : Pline le Jeune et l’abandon des victimes vendues au marché (in Lettre à Trajan, X, 96) ; saint Justin martyr et la critique de chrétiens prétendant manger sans problème des viandes sacrifiées ; sainte Biblis martyre et le sang (la vie) des animaux (in Eusèbe de Césarée, Histoire ecclésiastique, V) ; les Oracles sibyllins chrétiens et l’abstinence de viande sacrifiée, de sang et d’alcool ; les Sentences de Sextus et la rationalité de l’abstinence de viande ; les Pères du Désert ; le pape saint Léon le Grand, Homélie, 41 ; le pape Formose, etc.

[3La grande tradition monastique chrétienne, depuis le commencement jusqu’à nos jours (avec un certain relâchement).
Le révérend père Grégoire Berthelet nous en donne un large éventail dans son ouvrage Traité historique et moral de l’abstinence de viande (voir infra).

[4Genèse 1, 20-31 ; Lévitique 17, 3-4 ; 17, 8 ; l’ânesse de Balaam in Nombres 22, 21-33 ; Psaume 104, 10-14 ; Sagesse 1, 13-14 ; 11, 24-26 ; Ezékiel 24, 7-8 ; Évangiles ; Catéchisme de l’Église catholique, § 2416, etc. Les Papes, surtout depuis le XIXe siècle, ont encouragé la protection animale (cf. Jean Gaillard, Les animaux, nos humbles frères, Le Sarment/Fayard, 1986, p. 16-22). Voir aussi Marquise de Rambures, L’Église et la pitié envers les animaux (infra).

[5Genèse 6, 5-13. Certains changements intervenus dans la Création (par exemple, régime carnivore de certains animaux) s’éclairent à partir de ce contexte. Voir aussi saint Théophile d’Antioche, Lettre à Autolycus, II, 17. Un retour aux premières habitudes aura lieu (Isaïe 11, 1-10 ; 65, 25 ; Romains 8, 18-22 ; saint Irénée, Adversus Haereses, V, 33, 2).

[6Genèse 9, 3-6 ; 9, 9-17 ; Lévitique 17 ; Tertullien, Du Jeûne ou Contre les Psychiques, IV ; saint Jérôme, Contre Jovinien.

[7À cause des droits exclusifs de Dieu sur ses créatures ainsi que de la négation de la vie de ces dernières et des droits divins par des esprits inférieurs (idolâtrie).

[8Lévitique 17 ; Document de Damas, XII, 11-15 sur les poissons (immolés rituellement par certains Israélites) et les invertébrés ; Daniela Lefèvre-Novaro, « Les sacrifices de poissons dans les sanctuaires grecs de l’Âge du Fer », Kernos [En ligne], 23 | 2010, mis en ligne le 10 octobre 2013. URL : http://kernos.revues.org/1563.

[9Lévitique 17, 3-4 : l’un des passages méconnus de la Bible et pourtant sans équivoque sur le sentiment de Dieu ; Marc 7, 15-23 et la primauté des dispositions intérieures sur l’extérieur.

[10Genèse ; Matthieu 5, 13-16 ; Marc 16, 15 ; Romains 8, 19-22.

[11Marc 7, 14-23. C’est la loi de Jésus-Christ, l’amour : « Dieu m’a appris à ne regarder personne comme immonde ou impur. » (Actes 10, 28) C’est ainsi que le professionnel de la viande, qui est d’abord un être humain digne d’amour, avec des besoins à considérer, sera plus réceptif à l’abstinence chrétienne.
C’est avec la même logique, non avec celle de la légalistique, qu’il faut comprendre l’affirmation de saint Jérôme disant que le Seigneur Jésus-Christ a rétabli l’esprit des temps antédiluviens, avec ses implications ascétiques (in Contre Jovinien).

[12Pain et poisson avec les pêcheurs et le petit peuple ; table des riches, table des pécheurs.

[13La courtoise charité, sauf exceptions majeures, est primordiale aux yeux du Seigneur.

[14Les fruits de la terre. Nourriture nécessaire résumée dans l’expression « notre pain quotidien » de la prière du Christ (voir aussi un commentaire de saint Jean Chrysostome sur cette demande du Pater Noster).
Notons la consommation exceptionnelle de poisson après la Résurrection (Luc 24, 41-43 ; Jean 21, 1-14). Connotation mystique (poisson symbole du Christ et des convertis de l’Église).

[15Voir aussi pape saint Léon le Grand, op. cit. ; pape Eugène IV, Cantate Domino ; saint Thomas d’Aquin, Somme théologique, IIa IIae, q. CXLVII, art. 8.

[16Genèse ; Amos 6, 4-6 : « ... vautrés sur leurs divans, ils se régalent de jeunes béliers [...] mais ils ne ressentent aucun tourment pour la ruine de Joseph. » ; Osée 8, 13 : « En guise de sacrifice ils sacrifient de la chair et la mangent [...]. » ; Évangiles ; Philippiens 3, 18-19 et le dieu du ventre ; Jacques 4, 1-4 et la convoitise menant au désordre. Noter les conséquences sociales de l’intempérance dans nos sociétés.

[17Isaïe 2, 4 ; Michée 4, 3 : « Martelant leurs épées, ils en feront des socs [...] on n’apprendra plus à se battre. »

[18Coup de maître de Satan contre l’Église. Celle-ci, voulant légitimement défendre la vérité contre les hérésies naissantes enseignant la négation de la matière et des créatures, a par contrecoup accepté le faux et subtil raisonnement du libre usage des créatures pour leur chair. Encouragée par une interprétation discutable de la vision de saint Pierre en Actes 10 (comparer avec Épître de saint Barnabé, X, 1-12) et de la mise en garde de saint Paul en 1 Timothée 4, 3-5 (toute nourriture offerte ou mangée dans l’innocence de cœur, comparer par ailleurs avec les interdictions pythagoriciennes de fèves). Suprême tromperie, qui a contribué à perpétuer la dette de sang de l’humanité (l’homme charnel mêlant souvent le sang de ses semblables à celui des animaux, sans parler de l’abominable cannibalisme), nourrir et renforcer les démons, friands de vie morte (Actes non canoniques de saint André Apôtre, 53 ; Origène, Contre Celse, VIII, 29-30 ; saint Basile de Césarée, Commentaire sur Isaïe, 25) et plonger le monde dans ce cycle sans cesse alimenté de violence et de destruction.

[19Semences : eau, glucides, lipides, protéines, vitamines, minéraux ; fruits : eau, vitamines, minéraux, glucides, lipides, protéines ; feuilles et racines : idem ; laits et miels des animaux : eau, minéraux, vitamines, protéines, lipides, glucides.

[20Aujourd’hui les fruits de la terre (produits des plantes et animaux) sont souvent remplis de pesticides et autres polluants. Ils sont dégradés, transformés et raffinés, ce qui diminue dramatiquement leurs qualités biologiques et gustatives.

[21Genèse ; le Deutéronome et les 7 espèces, principaux produits de la Terre promise ; Daniel 1, 8-16 avec le prophète et ses compagnons ; 2 Maccabées 5, 27 avec le végétarisme du combattant Judas Maccabée et ses compagnons au désert. L’on notera que nos maquisards n’usèrent aucunement de leurs armes pour se procurer du gibier pur, et qu’il ne résulta apparemment aucune faiblesse physique de leur alimentation, comme souvent allégué de nos jours à l’encontre de ce régime par ceux qui le méconnaissent.
Les Pères de l’Église ont amplement montré les avantages de la sobriété chrétienne pour la santé. Noter les conséquences sanitaires de l’intempérance dans nos sociétés.

[22La manne lors de la traversée du désert, qui s’adaptait au goût et aux besoins de chacun.

[23Daniel 1, 8-16 ; Romains 14, 20-21 ; Apocalypse 2, 7 ; 22, 2, et Genèse 1, 29, avec semence et fruit matières de la Transsubstantiation en Corps et en Sang divins (Évangile). Pour le Sacrifice perpétuel rédempteur en communion avec toute la Création.