https://alsace.revues.org/1543
Les animaux dans les sermons d’Albert Schweitzer
Matthieu Arnold
Alors que l’importance des animaux dans la vie et la pensée d’Albert Schweitzer est bien connue, il n’existe pas d’étude sur les animaux dans ses prédications. L’analyse de l’ample corpus homilétique européen et des sermons africains – conservés en moins grand nombre – met en évidence la variété de ses références aux animaux : à Gunsbach et à Strasbourg, même avant la découverte du « respect pour la vie (Ehrfurcht vor dem Leben) », Schweitzer promeut une éthique de la compassion élargie à l’ensemble de la création ; à Lambaréné, dans un environnement hostile, l’attention au monde animal est plus marginale et sert principalement à fonder, a fortiori, des relations éthiques entre les hommes.
1
L’importance des animaux dans la biographie et la pensée d’Albert Schweitzer est bien connue1. Dès son enfance, Schweitzer, qui a grandi à la campagne, a été entouré par des animaux domestiques2. Ses écrits autobiographiques nous apprennent non seulement sa sensibilité précoce à la souffrance animale3, mais aussi le rôle qu’elle a joué pour l’élaboration de son éthique universelle, du « respect de la vie (Ehrfurcht vor dem Leben) ». Ses Lettres de Lambaréné nous révèlent la difficulté à mettre cette éthique en pratique, dans un environnement hostile. À Strasbourg comme à Lambaréné, les témoignages iconographiques abondent, qui montrent Schweitzer en promenade avec son chien, en train de nourrir des pélicans ou de donner le biberon à de jeunes chimpanzés. Ses écrits philosophiques critiquent l’absence de soutien apporté par la philosophie européenne à la protection des animaux, et affirment que le commandement chrétien de l’amour contient « implicitement » la compassion envers les bêtes4.
2
Par contre, il n’existe pas d’étude sur le rôle des animaux dans les sermons de Schweitzer. Or, ce thème nous paraît d’autant plus important que la prédication constitue un des principaux vecteurs de l’éthique schweitzerienne ; tant en Europe qu’en Afrique, avant comme après la découverte, en septembre 1915, des termes Ehrfurcht vor dem Leben, le prédicateur Schweitzer a tenté de sensibiliser ses contemporains à la cause animale. Il nous importera d’examiner notamment comment il a présenté ce thème en fonction de son auditoire, alors même que nos recherches ont montré à la fois des points communs fondamentaux et quelques différences notables entre la prédication aux « blancs » et celle adressée aux « noirs »5.
Les sermons européens
3
Albert Schweitzer a prêché dès 1896, et ses prédications nous sont conservées à partir de 1898. Son activité de prédicateur s’est déroulée à Gunsbach, dans la paroisse de son père, puis à Strasbourg – Saint-Nicolas, où il a été vicaire de décembre 1899 au début de 1913, puis d’août 1918 à juin 1921.
Les sermons antérieurs à 1919 : l’attention à la souffrance animale
4
Dans ses sermons, bien avant qu’il ait songé à œuvrer en Afrique, le jeune prédicateur tente de faire partager sa compassion à ses ouailles strasbourgeoises et de les gagner à la lutte contre les souffrances inutiles infligées aux animaux.
- 6 CANIVEZ (André),« Albert Schweitzer et la réalité de la souffrance », Revue d’Histoire et de Philos(...)
5
André Canivez a livré d’importantes réflexions sur les raisons et sur l’expression de cette compassion : « D’une façon générale, aux yeux de Schweitzer, une souffrance est d’autant plus grave qu’elle s’abat sur un esprit ou un psychisme peu développé, fruste, obscur, qui ne peut comprendre ce qui lui arrive […]. Car il y a une très grande différence entre l’homme qui voit souffrir, et l’être qui souffre. D’où son respect entier pour l’enfant qui souffre, l’homme de la forêt vierge, l’aliéné et surtout les animaux. […] Nous savons aussi que sa théorie de la souffrance se doublait immédiatement d’un besoin d’intervention totale pour la supprimer ou du moins pour la soulager »6.
6
À la lumière de ces propos, on comprend mieux pourquoi Schweitzer s’est intéressé non seulement aux animaux qui pouvaient susciter la sympathie humaine (par ex., les grands mammifères), mais aussi aux « petites bêtes », aux insectes et aux animaux a priori moins proches de l’homme et donc moins sympathiques. Dans ses sermons comme dans divers écrits, Schweitzer manifeste de la compassion pour les bêtes les plus insignifiantes (hannetons, vers, araignées, etc.) ; il leur attribue presque des qualités anthropomorphiques, et il insiste sur leurs joies et sur leurs peines.
- 7 Voir SCHWEITZER (Albert), Predigten 1898-1948. Herausgegeben von BRÜLLMANN (Richard) und GRÄSSER ((...)
7
Dès le 26 août 1900, dans un sermon prononcé à Gunsbach et portant sur « Heureux les miséricordieux (Selig sind die Barmherzigen…, Mt 5, 7) »7, Schweitzer attire l’attention de ses auditeurs sur les associations de protection des animaux : « Ce but [protéger les animaux des mauvais traitements] est noble et chrétien, et chacun doit soutenir ces efforts […]. Et si de nombreuses personnes, par ailleurs réceptives au bien, objectent qu’elles se préoccupent de la protection des êtres humains et non des bêtes, cela provient de leur ignorance et de leurs préjugés » (p. 186). Pour Schweitzer, la miséricorde ne doit pas être sélective, mais doit s’étendre à tout ce qui vit.
8
Dans cette prédication, il a commencé par définir la miséricorde comme « un don que le Créateur lui-même a mis dans le cœur des êtres humains, ses créatures ; elle est comme une étincelle qui peut enflammer ce cœur, même si, extérieurement, il est déjà complètement refroidi » (p. 185) ; il s’est demandé ensuite ce qu’était la « miséricorde chrétienne » : « Il n’y a pas de miséricorde qui ne porte pas en elle quelque chose de chrétien » (Ibidem).
9
De manière assez abrupte, il est passé ensuite à la question des animaux : « On a réfléchi au fait que jamais Jésus n’a effleuré – fût-ce par une seule parole – la miséricorde envers les pauvres animaux souffrants ; certains ont [même] estimé que la miséricorde envers les animaux ne relevait pas du christianisme. À ces personnes, on aimerait dire : ô gens superficiels, prenez la peine de consulter les paraboles du Seigneur, et voyez combien, de manière fine et sensée, il parle des animaux, de leur peine et de leur insouciance ; lisez la parabole de la brebis perdue [Mt 18, 12-14] : comment pouvez-vous encore croire que celui qui parle de lui-même comme du "bon berger" ne ressente pas, au fond de son cœur, de la pitié pour les animaux ? » (p. 185s.). 8 Voir par ex. Souvenirs de mon enfance…, p. 42 : « […] à moins d’impérieuses nécessités, nous n’avo (...)
10
Après cette question rhétorique, Schweitzer affirme avec force : « La miséricorde envers les animaux est chose chrétienne : ce sont les créatures de Dieu » (p. 186). Pour notre prédicateur, la parole « Laissez venir à moi les petits enfants » (Mt 19, 14), que l’on interprète généralement pour fonder le baptême des petits enfants, a des conséquences sur l’éducation chrétienne – et donc sur la miséricorde – des enfants : il faut leur enseigner, dès leur prime jeunesse, la miséricorde pour les animaux. En effet, la miséricorde qui leur est naturelle est trop souvent étouffée par l’insouciance. Schweitzer ne s’attarde pas tout de suite sur ce thème, qui fera pourtant florès dans ses écrits : les souffrances inutiles, infligées aux animaux par insouciance8. Il préfère relancer son propos par une nouvelle injonction : « C’est le devoir sacré (heilige Pflicht) des parents que d’exhorter leurs enfants à la miséricorde envers les animaux, afin que leur cœur ne devienne pas brutal » (Idem). Quiconque supporte sans broncher que son enfant martyrise ne fût-ce qu’un cafard ne devra pas se plaindre plus tard à Dieu s’il cause peine et soucis à ses parents, poursuit-il en guise d’avertissement.
11
C’est ensuite que Schweitzer en vient à parler des associations de protection des animaux et de la distinction, marquée par des préjugés, entre protection humaine et protection des animaux : à entendre leurs détracteurs, les membres de ces associations seraient animés par une pitié malsaine. Pour Schweitzer, il n’en est rien. Si nécessaire (le prédicateur ne précise pas cette nécessité), l’homme a le droit de tuer des animaux ; aucune association de protection ne le conteste. Par contre, l’être humain n’a pas le droit de torturer les bêtes par méchanceté, par insouciance ou par ignorance ; c’est un devoir chrétien que de s’y opposer (p. 186s.). Parvenu environ à la moitié de son sermon, Schweitzer change de thème, pour parler de la miséricorde envers les êtres humains : ces derniers, « nos frères, sont au-dessus des animaux et plus proches de nous » (p. 187). Schweitzer traite ensuite des nécessiteux, à la ville et à la campagne, avant de conclure sa prédication sur la félicité (Seligkeit) dévolue aux miséricordieux ; elle consiste en l’élargissement et en l’amélioration du cœur, et en la proximité de Dieu.
12
Cette prédication, dans laquelle Schweitzer donne maints exemples concrets, renferme des thèmes que développeront des sermons et des écrits ultérieurs : le prédicateur n’hésite pas à donner des exemples concrets ; il n’oppose pas les sentiments dus aux animaux à ceux dus à l’humain (la création est une) ; il n’a nullement honte du reproche de sentimentalisme adressé aux défenseurs des animaux ; il insiste sur l’éducation à la miséricorde envers les bêtes : dans certaines circonstances, l’homme a le droit de les tuer, mais la souffrance inutile, causée par négligence ou insouciance, est intolérable.9 Predigten, p. 959-965. Sermon traduit en français dans les Cahiers Albert Schweitzer, n°30 (1974), (...)
- 10 « Zu den schwersten Lasten gehört die Schuld. Darum soll das Gleichnis Jesu [Mt 18, 23-33] uns zum (...)
13
Huit ans plus tard, Schweitzer prononce une de ses prédications les plus célèbres, le sermon du 3e dimanche de l’Avent 1908 (13 décembre)9. Consacré cette fois-ci entièrement aux tourments endurés par les animaux, il se fonde sur un des rares textes bibliques traitant la souffrance de la création,Romains 8, 22 : « Nous savons que toute créature soupire avec nous et que son angoisse n’a jamais de fin ». Schweitzer ne dit mot de la teneur eschatologique de cette péricope, mais il se concentre sur la culpabilité (Schuld) humaine vis-à-vis des créatures muettes (deux semaines auparavant, il a parlé de la culpabilité et du pardon entre êtres humains10). Il s’agit pour lui d’une question religieuse profonde, même s’il concède que, dans le christianisme et « en opposition à l’esprit de son fondateur », « elle est entièrement passée à l’arrière-plan » (p. 960).
14
Du haut de la chaire, Schweitzer dénonce les procédés barbares employés dans les abattoirs de Strasbourg, « véritable enfer pour les bestiaux » (p. 961), et dépeint avec indignation le sort des chevaux de trait employés sur les chantiers : « Quel doit être l’effroi de la bête condamnée (verdammt) à ce labeur, lorsqu’elle voit pénétrer dans son écurie les premiers rayons du soleil, qui lui annoncent la reprise, sous le fouet, des interminables remontées dans un sol boueux » (Idem).
- 11 Schweitzer emploie le terme « Marter » (Predigten, p. 962) ; à maintes reprises, il parle de « Qua (...)
- 12 En 1919, dans ses prédications éthiques, Schweitzer définira la religion chrétienne comme « humani (...)
15
Le prédicateur ne se contente pas d’émouvoir, en dépeignant les sentiments qui agitent les bêtes souffrantes et apeurées (outre le « martyre »11 des chevaux de trait, il évoque les cris des vaches et des bœufs assoiffés, entassés dans les wagons à bestiaux) : il veut surtout responsabiliser ses auditeurs, et les inciter à ne pas craindre d’agir. C’est ainsi qu’il rapporte sa conversation avec un homme qu’il avait surpris à malmener son cheval. Au lieu d’enfouir son indignation au fond de son âme, il faut se laisser gagner par la compassion (la miséricorde envers les animaux relève de l’authentique humanité –Menschsein12) et s’efforcer de combattre les erreurs criantes. On aurait tort, poursuit-il, de penser « que l’individu isolé ne peut rien faire » : ce point de vue est « faux et lâche » (p. 963). Et Schweitzer de revenir sur une autre conversation, cette fois avec un employé des chemins de fer : « […] il m’a raconté, en maugréant, que, dans une station alsacienne, il lui fallait toujours se tenir sur ses gardes lors du transbordement des bestiaux, car à toute heure du jour et de la nuit surgissait là, à l’improviste, une vieille demoiselle pour contrôler les opérations. On n’était jamais tranquille avec elle et elle ne plaisantait pas. Je voyais cette personne devant moi comme si je la connaissais. Que d’animaux elle a ainsi préservés de mauvais traitements ! Et celui qui prononcera son éloge funèbre aura le droit de dire : "Heureux ceux qui meurent dans le Seigneur, car leurs œuvres les suivent" [Ap 14, 13] » (p. 964). Ce récit pittoresque n’a pas seulement pour fonction de détendre l’atmosphère, après l’énumération des tortures infligées aux animaux ; il sert principalement à exhorter les paroissiens à « ne pas rester [des] spectateur[s] passif[s] et [à] élever la voix à la place des créatures qui ne savent pas parler » (idem). Sans cela, ils seront semblables au Lévite de la parabole du bon Samaritain (Lc 10, 32), qui avait passé à distance du blessé sans lui porter secours ; implicitement, Schweitzer fait donc de ses auditeurs les « prochains » des animaux (et pas seulement des autres êtres humains).
- 13 « Für uns arme Stadtmenschen aus dem 20. Jahrhundert ist die Gefahr, in der Frage Mensch und Kreat (...)
16
On relèvera, dans cette prédication, à nouveau l’importance des exemples concrets ; ils sont livrés ici à des citadins sinon ignorants13, du moins insouciants de la souffrance animale. Schweitzer n’y parle pas encore de « respect de la vie », mais d’un « pouvoir miséricordieux » qui surgit. Il emploie aussi le terme « pitié », tout en s’attachant à combattre le reproche du sentimentalisme.
Les sermons sur le respect de la vie (1919)
- 14 Du 16 février au 7 septembre 1919, Schweitzer a consacré quinze sermons aux « problèmes éthiques »(...)
- 15 Predigten, p. 1245-1253.
17
Dès le troisième de ses sermons éthiques14, prononcé le 2 mars 1919 en l’église Saint-Nicolas, Schweitzer traite du respect de la vie animale. Il se fonde sur Proverbes 12, 10 : « Le juste a pitié de son bétail, mais le cœur des impies est inaccessible à la miséricorde »15.
- 16 Eine Schrifft oder Klage der Vogel an D. Martinum Luthern uber Wolffgang Siberger seinen Diener (W (...)
18
Schweitzer fonde désormais son (long) développement sur le caractère « sacré » de chaque existence, et continue de combattre la négligence – même dans l’arrachage de plantes. Armé de son nouveau principe, Ehfurcht vor dem Leben, il peut se lancer dans un exposé plus structuré et plus exhaustif que ceux des sermons d’avant-guerre, en dépassant la question de la compassion (Mitleiden) : « Je vous ai déjà dit que j’exige quelque chose de bien plus universel (Allgemeineres) que la compassion envers les animaux : il faut que cette compassion croisse sur le sol d’un respect universel devant tout ce qui est vie. Sinon, cette compassion reste incomplète et inconstante » (p. 1246). Après avoir introduit des arguments bibliques – en particulier le commandement de faire bénéficier les animaux du sabbat (Dt 5, 14) – et historiques – la « plainte des oiseaux » rédigée par Luther en 153416 ; l’extension, par Philippe Jacques Spener, de l’interdiction de tuer (Dt 5, 17) aux animaux –, Schweitzer en revient à son principe général : Ehrfurcht vor dem Leben. Lui seul peut donner un fondement solide à la compassion envers les animaux voire envers les plantes (p. 1248-1249).
19
Seule la nécessité peut justifier la destruction d’autres créatures. Comme chaque destruction est « événement épouvantable », il faut au moins que, au préalable, l’homme ait le courage de se poser clairement la question : « est-ce qu’il y a nécessité ou pas et si nécessité il y a, comment puis-je en assumer la responsabilité ? » (p. 1249). Aussi Schweitzer condamne-t-il sans appel la chasse comme divertissement et la corrida : « Appliqué aux animaux, le principe du respect de la vie signifie d’abord que tuer des bêtes ne doit pas être un spectacle ou un sport ! » (Idem). En Afrique, au contraire de tant d’Européens, lui-même s’est refusé, à tirer « par sport » sur des caïmans (p. 1251).
20
L’être humain peut-il, doit-il intervenir dans la lutte qui oppose plusieurs vies animales ? Schweitzer ne veut pas établir de règle : la décision se prendra en conscience, au cas par cas (idem). En tout cas, lorsque l’homme entre en contact avec les animaux, il lui faut tout faire pour éviter de causer des souffrances inutiles, et il éduquera ses enfants dans ce sens (p. 1251s.). Certes, il ne lui est pas toujours possible d’épargner la vie animale ; par contre, il peut et doit soupeser la nécessité de ses actes, pour agir de manière responsable et limiter les souffrances qu’il inflige aux autres créatures (p. 1252).
21
Enfin, appliqué aux animaux, le respect de la vie ne se décline pas seulement en préceptes négatifs (ne pas tuer ; ne pas faire souffrir inutilement) ; conformément à l’injonction de Dieu et à son exemple, l’homme peut se comporter en sauveur (Erlöser) : sauveur d’un insecte en train de se noyer ou d’un ver exposé au soleil. Exemples dérisoires ? Schweitzer n’hésite pas à appliquer à ces humbles créatures les paroles de Jésus : « Ce que vous avez fait à l’un de ces plus petits, c’est à moi que vous l’avez fait… » (Mt 25, 40). Pour les auditeurs de Schweitzer, le message était obvie : mépriser les animaux revenait, à l’inverse, à mériter le châtiment éternel promis par le Christ à ceux qui n’avaient rien fait en faveur de « ces plus petits » (Mt 25, 45). Comme dans les sermons précédents, Schweitzer conclut son propos en exhortant ses ouailles : qu’elles n’aient pas honte de leurs interventions en faveur de la gent animale.
- 17 Nous citons d’après l’édition française de 1976 (voir note 4).
22
Dans son ouvrage La civilisation et l’éthique (1923)17, Schweitzer reprendra plusieurs thèmes de cette importante prédication (p. 176-180) : lorsqu’il expose « La voie nouvelle », il fait observer que l’éthique du respect de la vie ne peut se soustraire aux conflits entre « la nécessité intérieure de dévouement et la nécessité d’assurer sa propre existence » : pour sauvegarder son existence, l’être humain doit se défendre d’« existences nuisibles » et devient le persécuteur de la souris qui habite chez lui voire l’assassin des insectes qui veulent y faire leur nid. Dans les rapports entre l’homme et les bêtes, il s’agit de se poser la question de la nécessité des dégâts occasionnés à la vie ; cela vaut notamment pour la vivisection, et même pour la cueillette de fleurs. À nouveau, Schweitzer critique tant l’indifférence que la gêne de ceux qui craignent de se faire remarquer par leur compassion à l’égard des autres êtres vivants. L’éthique du respect de la vie combat tant l’insensibilité que le silence complice. « Elle nous pousse à rechercher ensemble les occasions de venir en aide à des animaux en compensation de toute la misère où ils sont plongés par la main des hommes […] » (p. 180).
Les sermons de Lambaréné : les animaux comme terme de comparaison
- 18 Humanisme et mystique (voir note 1), p. 98.
- 19 Idem, p. 121.
23
Quoique parti en Afrique pour soulager les souffrances humaines, Schweitzer s’y est montré attentif aussi à celles des animaux. À Lambaréné plus encore qu’à Strasbourg, il fut, selon les termes de Jean-Paul Sorg18, « à la fois un théoricien […] et un praticien » de la protection animale. À Lambaréné, on trouvait non seulement un hôpital, mais aussi un lieu de refuge et de protection pour des animaux blessés. Sait-on que Schweitzer adopta chiens et chats, mais aussi antilopes, chimpanzés ou pélicans, qu’il laissait aller en liberté dans l’enceinte de l’hôpital19 ?
Le contexte : une nature hostile
- 20 SCHWEITZER (Albert), Zwischen Wasser und Urwald, Berne, 1921, p. 19.
- 21 Idem.
24
Le premier écrit africain, À l’orée de la forêt vierge (1921), abonde en narrations sur les déprédations des charançons, qui dévorent le maïs et le riz, des fourmis guerrières, terrible menace pour le poulailler, des mouches tsé-tsé, porteuses de la maladie du sommeil, ou encore des éléphants, danger à la fois pour les plantations et pour le télégraphe. Mais on y trouve aussi des narrations sur les souffrances des animaux domestiques, qui se situent dans la lignée des sermons strasbourgeois : « Je ne garderai pas un bon souvenir de Dakar, car je me rappellerai toujours la brutalité avec laquelle on y traite les animaux (Tierquälerei). […] Nulle part je n’ai vu les chevaux et les mulets aussi maltraités »20. Et tout comme dans les récits qui illustrent ses prédications, Schweitzer ne reste pas le spectateur passif de ces tourments : alors que deux noirs, installés sur un chariot lourdement chargé, « frapp[ent] leur pauvre animal en vociférant »21, il les contraint à descendre du véhicule et les aide à le pousser.
- 22 Lettre n° 5 (février 1934), p. 6. Voir, dans le même sens, la Lettre n°7 (juin 1935), sur les four(...)
25
Les Lettres de l’Hôpital du Dr Albert Schweitzer à Lambaréné, publication destinée à informer les donateurs, constituent une source précieuse sur l’attitude de Schweitzer face aux animaux rencontrés en Afrique. C’est avec humour que Schweitzer y évoque la dangerosité de certains fauves, mais aussi le châtiment qui leur sera reservé : « Quant à l’hippopotame qui fréquente les parages de l’hôpital, j’ai le regret de devoir lui décerner un fâcheux témoignage. C’est un personnage grossier et méchant. Saisi d’une rage aveugle, il s’en prend aux pirogues qui abordent, les renverse et en poursuit les occupants dans l’eau. C’est ainsi qu’il a tué un homme et grièvement blessé une femme hospitalisée chez nous. Une nuit de lune, nous l’avons vu […] se précipiter avec violence contre une pirogue dont les pagayeurs ne soupçonnaient pas sa présence. Ils purent tout juste éviter son attaque en virant prestement de bord. Comme il est devenu un danger pour ceux qui arrivent à l’hôpital ou partent de nuit en pirogue, son arrêt de mort a été prononcé. Mais, en secret, nous souhaitons que la sentence n’ait pas à être exécutée et que le monstre, averti par quelque instinct, préfère aller exercer ailleurs sa sauvagerie et sa méchanceté »22.
- 23 Voir Lettre n° 7 (juin 1935), p. 4s.
- 24 Voir Lettres n° 9 (octobre 1936, p. 3) et n°13 (mars 1946, p. 14).
26
Les insectes nuisibles, tels que les fourmis guerrières23 ou les termites24, ne lui causent pas moins de souci. Il tente de détourner les attaques nocturnes des premières en érigeant des barrières de cendre autour des habitations et du poulailler, et supprime les secondes à l’aide du DDT. Si les chèvres s’attaquent aux arbres fruitiers et les éléphants aux plantations, Schweitzer ne semble pas vouloir châtier aussi radicalement les auteurs de ces déprédations.
27
Le combat permanent mené à Lambaréné contre une nature hostile peut expliquer que, dans ses sermons africains, nous n’avons trouvé qu’une prédication invitant à la miséricorde envers les animaux. Toutefois, la prudence est de mise : comme nous le verrons plus loin, seule une très faible proportion des sermons africains nous sont parvenus. Par ailleurs, si, à n’en pas douter, Schweitzer fut très sensible aux conditions de vie (voire de survie) des indigènes, il s’est opposé, avec la dernière énergie, à la chasse « sportive » pratiquée par les Européens.
Les prédications
- 25 SCHWEITZER (Albert), Les Sermons de Lambaréné. Textes commentés par Philippe Aubert et Jean-Paul (...)
28
Dès le 20 avril 1913, Schweitzer, parti comme médecin à Lambaréné, y avait également débuté une activité de prédicateur : en Afrique, la Mission de Paris avait d’autant moins à redouter le caractère libéral de sa théologie que les questions de dogme ne tenaient guère de place dans les prédications ; aussi put-il être délié de sa promesse de rester « muet comme une carpe ». Jusqu’à la fin de sa vie, il n’a cessé de prononcer des sermons devant l’ensemble de l’hôpital ou des méditations plus brèves, réservées à ses collaborateurs. Malheureusement, cinquante-trois textes seulement nous sont conservés25, et ils ne couvrent que deux périodes de l’activité missionnaire de Schweitzer : les années 1913-1914 et 1930-1933. Aussi les conclusions que nous tirerons de ce corpus, près de dix fois inférieur à celui des prédications alsaciennes, sont-elles nécessairement limitées : nul ne peut dire combien de sermons faisant référence aux animaux nous sont perdus.
- 26 « L’homme dit : "oui, j’ai du travail, garde mes cochons !". Parce que chez les Blancs il y a des(...)
29
Nous ne nous attardons pas sur les éléments d’information que Schweitzer donne à son auditoire pour lui expliquer des réalités bibliques qui lui sont étrangères26.
30
Certaines péricopes des évangiles appellent la référence aux animaux. C’est le cas, par exemple, de l’évangile du dimanche des Rameaux (13 avril 1930), où Schweitzer se situe dans la lignée de Jésus, venu sur un âne ; au contraire des « riches et des puissants », en Europe, il ne possède pas de cheval : « Vous savez bien que les hommes peuvent avancer sur un cheval, une grande bête qui court plus vite qu’une gazelle. Mais il n’y a que les hommes riches et puissants, des chefs, qui montent à cheval. Moi, je n’ai pas de cheval en Europe ! » (p. 93).
- 27 Sermon sur le pardon, n° 26, 13 juillet 1930 (Sermons, p. 120).
- 28 « Un culte du dimanche en forêt vierge » [25 juillet 1930], in : Sermons, p. 39.
31
Quelques exemples tirés de la vie quotidienne mettent en scène des animaux, sans renfermer de message moral : « Le cabri du voisin est venu manger vos bananes. Vous ne courez pas après lui, vous vous dites : oh ! il a pris à peine deux doigts de banane, il en reste beaucoup d’autres. Et voilà que le soir arrive et vous avez déjà pardonné cinq fois. N’est-ce pas bien ? N’est-ce pas assez ? »27. Schweizer a commenté en ces termes sa méthode, illustrée par ce sermon : « Je mène mes gens en pleine réalité et je leur dépeins par des faits ce que cela signifie de pardonner sept fois en un seul jour »28.
32
Mais à Lambaréné, l’évocation des animaux familiers à son auditoire sert principalement la visée éthique des sermons.
33
C’est le cas dans le troisième sermon de 1930 (9 février) sur le Décalogue, portant sur le commandement « Tu ne dois pas tuer » – une loi « inscrite dans le cœur des hommes » (p. 70). Schweitzer y compare le cœur des hommes à un singe : « Le singe peut paraître doux et gentil, mais tout d’un coup, il vous saute dessus et vous mord. Ainsi le cœur des hommes peut-il paraître tout à fait paisible, mais tout d’un coup les mauvaises pensées y surgissent qui le poussent : "Vas-y, tue cet homme qui te gène. Et s’il ne retient pas son cœur, il tuera" » (p. 71). Cette comparaison ne sert pas seulement à illustrer le propos du prédicateur, et elle n’a pas pour fonction de divertir son auditoire ; en effet, Schweitzer file la métaphore (il fait ainsi l’économie d’un développement théologique) pour en conclure à la nécessité de la Loi : « […] les singes qui mordent, il faut les attacher par une chaîne. Avec quoi peut-on attacher le cœur des hommes ? Le cœur des hommes, on l’attache par la loi de Dieu, et cette loi surtout, qui nous commande de ne pas tuer. Ainsi, faites toujours attention de garder votre cœur attaché à Dieu. Amen » (p. 71).
34
Il est intéressant de noter que la prédication suivante qui nous est conservée (2 mars 1930), consacrée au vol, commence par apporter des précisions (« Je dois encore expliquer… ») sur le commandement de ne pas tuer. Schweitzer élargit cette interdiction au meurtre des animaux, application conséquente de son éthique universelle : elle concerne l’ensemble de la création, et ses exigences ne sont pas moindres pour les Africains que pour les Européens. « Je dois encore expliquer maintenant que la loi ne dit pas seulement : "Tu ne tueras pas les hommes", elle dit tout court : "Tu ne tueras pas". Parce que toutes les bêtes sont des enfants de Dieu comme les hommes, Dieu ne veut pas que l’on tue inutilement une bête » (p. 72). Tout comme dans ses sermons européens, Schweitzer s’en prend au meurtre gratuit (« Dieu ne veut pas que l’on tue inutilement une bête »), autorisant par ailleurs (« Dieu permet… ») que l’on tue un animal pour se nourrir ou pour se défendre, lorsqu’il s’agit d’une « bête dangereuse ». Il invite ses auditeurs à se faire, à leur tour, les porte-parole de ce message neuf (« Dites à tous, dans les villages, qu’il ne faut pas tuer les bêtes »), et leur oppose les sentiments des blancs : « Nous, les Blancs, nous sommes terriblement effrayés de voir comme vous pouvez être méchants pour les bêtes » (p. 72).
35
Traitant ensuite plus longuement du vol, Schweitzer multiplie les exemples, destinés à émouvoir son auditoire, de victimes de larcins, à commencer par lui-même (« le Docteur ») ; Dieu n’interdit pas seulement le vol, mais il leur donne (et leur ordonne) le travail, grâce auquel ils peuvent acquérir nourriture et biens sans léser autrui : « en disant : "Tu ne voleras pas", il dit par la même bouche : "Tu travailleras" Dieu veut vous voir travailler. Pourquoi ? » (p. 75). La référence au singe permet à Schweitzer de mettre en évidence les spécificités de l’homo laborans : « Avez-vous déjà pensé à la différence entre un singe et un homme ? Le singe a une figure un peu comme un homme, il marche comme un homme. Mais quelle est la différence que vous voyez bien tous ? C’est que le singe se promène dans les arbres et prend tout ce qui vient : les araignées, les fruits, les oiseaux, mais jamais il ne travaille. Non ! C’est pour ça que le singe est seulement un animal, et c’est comme les singes que vous seriez tous, si vous ne travailliez pas. […] L’homme n’est vraiment un homme que quand il réfléchit et il ne réfléchirait pas s’il n’avait pas à travailler » (Idem).
- 29 Prédication du 16 mars 1930, Sermons, p. 82-85.
36
Deux semaines plus tard29, le thème du mensonge amène une comparaison avec d’autres animaux sauvages : « Et finalement, vous vivez tous, partout, dans le mensonge comme dans un marécage. Si je vous demandais : allez, marchez dans ce marécage, vous protesteriez : non, c’est sale. Quand on entre dedans, on devient noir comme un éléphant. On ne peut pas nager dans un marécage. Je préfère me jeter dans le fleuve. Mais dans votre vie vous marchez toujours comme dans un marécage. Vous êtes sales comme le cochon sauvage qui vit dans le marécage. Votre cœur est plein de boue, parce que tous les jours vous marchez dans le marécage du mensonge. C’est pourquoi Dieu vous dit avec tant de force : "Tu ne dois pas mentir" » (p. 83). La référence à un troisième animal est tout improvisée ; Schweitzer s’appuie, comme il le fait souvent, sur un élément de son environnement immédiat : « Voyez ce mouton. C’est un pauvre mouton, mais il a le cœur meilleur que nous tous, parce qu’il n’a jamais menti » (p. 83). En effet, au contraire des animaux, les êtres humains ont été créés avec la parole, et c’est pourquoi, sans cesse, ils sont menacés par le mensonge (Idem).
- 30 Çà et là, Schweitzer n’hésite pas à instaurer un véritable dialogue avec son auditoire (voir par e (...)
- 31 Relevons, avec les éditeurs des Sermons(p. 96, note 2), que Schweitzer n’a pas seulement invité l (...)
- 32 Ainsi le sermon du 20 juillet 1930, qui porte sur le Notre Père ; cette fois-ci, l’animal est un m (...)
37
Ce type de comparaison, qui illustre l’aspect extrêmement vivant des prédications de Schweitzer30, se retrouve lors de son sermon de Pâques (20 avril 1930). Le prédicateur s’interroge sur la mort de Jésus-Christ pour autrui, conformément à l’inexplicable volonté de Dieu31 : « Regardez ce cabri qui se promène là-bas. Est-ce qu’il peut comprendre ce qui se passe dans votre tête, à vous qui êtes des hommes ? Non ! De même vous, vous êtes tellement différents de Dieu, tellement autres, que vous ne pouvez comprendre pourquoi il pense ce qu’il pense. Jésus est mort sur la croix dans l’idée qu’il est mort comme Dieu le voulait, pour tous les hommes » (p. 96). Loin d’être perturbé par les animaux qui pourraient distraire son auditoire lors de ses sermons en plein air, Schweitzer s’en sert pour illustrer son argumentation voire pour la faire progresser32.
38
***
- 33 Sermons, p. 50, 80, 108, 111, 113, 127 et 137s.
- 34 Sermons, p. 110s. et 131. On relèvera la prédication du 24 mai 1930 (Pentecôte), portant sur l’Es (...)
- 35 Cette conclusion rejoint celle, fondée sur les discours en « je », que nous avions tirée dans notr (...)
39
Dans une prédication simple et riche en exemples, les animaux servent, au même titre que les éléments végétaux33 ou l’eau (de l’Ogooué) et les nuages34, d’éléments de comparaison : au service de la seule adaptation à l’auditoire (Schweitzer évoque les équivalents, en Afrique, de réalités bibliques inconnues de ses ouailles, établissant ainsi une connivence avec ces dernières) ou, plus fréquemment, de la proclamation d’un message éthique35. Dans les sermons africains, la référence aux animaux sert principalement à fonder, a fortiori, des relations éthiques entre les hommes ; l’attention au monde animal y apparaît de manière marginale. Dans les sermons européens, au contraire, le monde animal n’est pas évoqué à simple titre de comparaison, mais constitue un thème en soi : l’élargissement de l’éthique à l’ensemble de la création.
- 36 Par son emploi d’un bestiaire au service d’un message moral, Schweitzer s’enracine dans une longue (...)
- 37 GRÄSSER (Erich),Albert Schweitzer als Theologe, Tübingen, 1979, écrit fort justement que la prédi (...)
- 38 Predigten, p. 1234 (sermon du 16 février 1919).
40
Ces différences, qui nous montrent un prédicateur tantôt plus traditionnel36 et tantôt plus novateur, illustrent à nouveau la capacité de Schweitzer à s’adapter à son auditoire ; sans se contredire ni renier les lignes de force de sa pensée, centrée sur l’éthique37, il place les accents différemment, selon qu’il prêche à Strasbourg ou à Lambaréné. Mais en Alsace comme en Afrique, sa mention des animaux renvoie à l’interprétation des paroles de Jésus, de telle manière que, « dans la pratique, elles soient applicables dans la vie »38.
Notes
1 Voir SCHWEITZER (Albert), Humanisme et mystique. Textes choisis et présentés par Jean-Paul Sorg, Paris, 1995, p. 97-133.
2 Voir SORG (Jean-Paul), « Respecter et protéger les animaux », Cahier Albert Schweitzer, n°139 (juillet-septembre 2005), p. 34-38.
3 Dans ses témoignages autobiographiques, il écrit qu’enfant, il ajoutait à la prière du soir de sa mère quelques mots pour demander à Dieu qu’il « protège et bénis[se] tout ce qui respire » – c’est-à-dire également les animaux. (Souvenirs de mon enfance, Strasbourg, 1950 [édition originale allemande, 1924], p. 39). Durant son enfance, à l’âge de sept-huit ans, marqué par le commandement « Tu ne tueras point ! », il refusa également de suivre l’exemple d’un camarade de classe, qui l’avait invité à tirer avec lui sur les oiseaux, à l’aide de leurs frondes (idem, p. 39-40). Dans le cadre de notre cours sur « L’éthique d’Albert Schweitzer (1875-1965) » (septembre-décembre 2005), Eva Nether a réalisé un intéressant travail inédit sur « Albert Schweitzer. Les relations avec les animaux dans les écrits autobiographiques ».
4 « La philosophie et la question du droit des animaux », International Journal of Animal Protection, Londres, 1936 (reproduit partiellement dans Humanisme et mystique, p. 116-120 ; voir aussi La civilisation et l’éthique, Colmar, 1976 (édition originale : Kultur und Ethik, Munich, 1923).
5 Voir ARNOLD (Matthieu), « Les références autobiographiques dans les sermons de Lambaréné d’Albert Schweitzer », in : DINET (Dominique), IGERSHEIM (François) (éd.), Terres d’Alsace, Chemins de l’Europe. Mélanges offerts à Bernard Vogler, Strasbourg, PUS, 2003, p. 33-49 ; « "Vous les noirs, nous les blancs…". L’opposition entre Européens et Africains dans les sermons de Schweitzer à Lambaréné », Revue d’Histoire et de Philosophie religieuses, 83 (2003), p. 421-441.
6 CANIVEZ (André),« Albert Schweitzer et la réalité de la souffrance », Revue d’Histoire et de Philosophie religieuses, 56 (1976), p. 143-153 (ici, p. 147-148).
7 Voir SCHWEITZER (Albert), Predigten 1898-1948. Herausgegeben von BRÜLLMANN (Richard) und GRÄSSER (Erich), Munich (Albert Schweitzer. Werke aus dem Nachlaß), Munich, 2001, p. 185-189. C’est sur cette édition de référence, abrégée désormais Predigten, que nous nous fondons. Une anthologie de sermons strasbourgeois a été publiée sous le titre Vivre, Paris, 1970.
8 Voir par ex. Souvenirs de mon enfance…, p. 42 : « […] à moins d’impérieuses nécessités, nous n’avons pas le droit d’infliger la souffrance ou la mort à un autre être ». Pour Schweitzer, un « progrès énorme serait déjà accompli, si les hommes commençaient à réfléchir et à se rendre compte, raisonnablement, qu’ils n’ont le droit de nuire, détruire et tuer qu’en cas de besoin » (lettre de 1951). C’est pourquoi il fut un critique sévère de la corrida : voir Predigten, p. 1250s. (sermon du 2 mars 1919) et « La France et les Corridas », Cahier Albert Schweitzer, n° 12 (1964), p. 11s.
9 Predigten, p. 959-965. Sermon traduit en français dans les Cahiers Albert Schweitzer, n°30 (1974), p. 3-9. Nous livrons ici nos propres traductions, fondées sur l’original allemand.
10 « Zu den schwersten Lasten gehört die Schuld. Darum soll das Gleichnis Jesu [Mt18, 23-33] uns zum ersten Advent von Schuld und Vergebung predigen » (Predigten, p. 956 [955-959]).
11 Schweitzer emploie le terme « Marter » (Predigten, p. 962) ; à maintes reprises, il parle de « Qual » – voire de « Quäler », « Quälerei » –, ainsi que de « Schmerz » et de « Weh ». Sur le procédé de la répétition dans ses sermons, voir GAGNEBIN (Laurent), « Remarques homilétiques sur la prédication d’Albert Schweitzer et son "mysticisme éthique" », Études Théologiques et Religieuses, 71 (1996), p. 530 [523-543].
12 En 1919, dans ses prédications éthiques, Schweitzer définira la religion chrétienne comme « humanité véritable (wahre Menschlichkeit) ».
13 « Für uns arme Stadtmenschen aus dem 20. Jahrhundert ist die Gefahr, in der Frage Mensch und Kreatur steckenzubleiben, besonders groß. Die wenigsten unter uns besitzen auch nur einen Hund ; die Kühe, deren Milch wir trinken, haben wir nie gesehen » (Predigten, p. 960).
14 Du 16 février au 7 septembre 1919, Schweitzer a consacré quinze sermons aux « problèmes éthiques » (Voir Predigten, p. 1233-1321). Les deux premiers ont porté respectivement sur le « grand commandement » (Mt 12, 28-34) et sur l’exhortation à ne pas vivre pour soi-même (Rm 14, 7).
15 Predigten, p. 1245-1253.
16 Eine Schrifft oder Klage der Vogel an D. Martinum Luthern uber Wolffgang Siberger seinen Diener (WA 38, p. 292s.).
17 Nous citons d’après l’édition française de 1976 (voir note 4).
18 Humanisme et mystique (voir note 1), p. 98.
19 Idem, p. 121.
20 SCHWEITZER (Albert), Zwischen Wasser und Urwald, Berne, 1921, p. 19.
21 Idem.
22 Lettre n° 5 (février 1934), p. 6. Voir, dans le même sens, la Lettre n°7 (juin 1935), sur les fourmis guerrières (p. 4s.) et sur les fauves : « Nous avons continuellement à l’hôpital des gens blessés par des gorilles, des hippopotames, des alligators, des buffles ou des sangliers » (p. 6).
23 Voir Lettre n° 7 (juin 1935), p. 4s.
24 Voir Lettres n° 9 (octobre 1936, p. 3) et n°13 (mars 1946, p. 14).
25 SCHWEITZER (Albert), Les Sermons de Lambaréné. Textes commentés par Philippe Aubert et Jean-Paul Sorg, Strasbourg, 2002. (Nous abrégeons désormais :Sermons).
26 « L’homme dit : "oui, j’ai du travail, garde mes cochons !". Parce que chez les Blancs il y a des troupeaux de cochons, comme il y a ici des troupeaux de moutons et de chèvres » (Sermon n°34, 14 septembre 1930, sur la parabole dite « du fils prodigue » ; Sermons, p. 142). « Les hommes chantaient des cantiques devant Jésus qui passait, assis sur un âne. Il faut savoir que chez les blancs les rois ne vont pas à pied, mais qu’ils avancent montés sur un cheval ou sur une autre bête » (Sermon n°45, dimanche des rameaux, 29 mars 1931 ; Sermons, p. 169).
27 Sermon sur le pardon, n° 26, 13 juillet 1930 (Sermons, p. 120).
28 « Un culte du dimanche en forêt vierge » [25 juillet 1930], in : Sermons, p. 39.
29 Prédication du 16 mars 1930, Sermons, p. 82-85.
30 Çà et là, Schweitzer n’hésite pas à instaurer un véritable dialogue avec son auditoire (voir par ex. Sermons, p. 131, 135, 174 et 176) ou encore à apostropher ceux qui sont tentés de quitter le culte prématurément (Sermons, p. 115, 125 et 133).
31 Relevons, avec les éditeurs des Sermons (p. 96, note 2), que Schweitzer n’a pas seulement invité les Africains à ne pas sonder la volonté de Dieu et le sens que Jésus a donné à sa mort.
32 Ainsi le sermon du 20 juillet 1930, qui porte sur le Notre Père ; cette fois-ci, l’animal est un mouton. Schweitzer insiste sur l’écart entre la différence entre l’homme et l’animal d’une part, et celle entre Dieu et l’homme d’autre part, toujours afin de mettre en évidence le caractère insondable de la volonté divine : « Regardez ce petit mouton là-bas ! Est-ce qu’il peut comprendre les pensées qui sont dans la tête d’un homme ? Non ! Eh bien ! La différence entre un mouton et un homme n’est de loin pas aussi importante que la différence entre un homme et Dieu. Il est clair qu’un pauvre homme ne peut pas comprendre toutes les raisons de Dieu et pourquoi il y a dans notre monde tant d’obstacles à sa volonté ».
33 Sermons, p. 50, 80, 108, 111, 113, 127 et 137s.
34 Sermons, p. 110s. et 131. On relèvera la prédication du 24 mai 1930 (Pentecôte), portant sur l’Esprit (et donc sur la Trinité) ; les bras entrecroisés de l’Ogooué permettent à Schweitzer d’expliquer la Trinité : « Quand j’ai remonté l’Ogooué du Cap Lopez jusqu’ici, je me suis étonné en voyant que le fleuve s’était séparé en plusieurs fleuves, l’un à côté de l’autre, et je me suis dit : est-ce bien cela, l’Ogooué ? Oui ! Je comprenais que le fleuve s’était séparé en plusieurs fleuves pour donner l’eau à tout le pays et qu’ainsi il n’y a qu’un fleuve Ogooué dont plusieurs courants d’eau ont pris naissance, qui tous se retrouvent en lui. Il en est de même avec Dieu qui est esprit » (p. 68).
35 Cette conclusion rejoint celle, fondée sur les discours en « je », que nous avions tirée dans notre étude « Les références autobiographiques dans les sermons de Lambaréné d’Albert Schweitzer » (voir note 3), p. 41.
36 Par son emploi d’un bestiaire au service d’un message moral, Schweitzer s’enracine dans une longue tradition homilétique. Voir par ex. MARTIN (Hervé), Le métier de prédicateur en France septentrionale à la fin du Moyen Age (1350-1520), Paris, 1988, p. 436-443.
37 GRÄSSER (Erich), Albert Schweitzer als Theologe, Tübingen, 1979, écrit fort justement que la prédication de Schweitzer était éthique et morale, mais nullement moraliste (p. 222).
38 Predigten, p. 1234 (sermon du 16 février 1919).
Pour citer cet article
Référence papier
Matthieu Arnold, « Les animaux dans les sermons d’Albert Schweitzer », Revue d’Alsace, 132 | 2006, 245-259.
Référence électronique
Matthieu Arnold, « Les animaux dans les sermons d’Albert Schweitzer », Revue d’Alsace [En ligne], 132 | 2006, mis en ligne le 30 novembre 2011, consulté le 29 octobre 2016. URL : http://alsace.revues.org/1543 ; DOI : 10.4000/alsace.1543
Auteur
Matthieu Arnold
Professeur à l’Université Marc Bloch, membre de l’Institut Universitaire de France, Strasbourg
Haut de page
Droits d’auteur
Tous droits réservés
https://alsace.revues.org/1543