"si tu veux construire la paix, protège la création"
(message de sa sainteté Benoît XVI pour la célébration de la Journée Mondiale de la Paix le 1e janvier 2010)
"Toute créature est verbe divin, parce qu’elle parle de Dieu"
Saint Bonaventure
"Et moi, je vous dis : demandez, et l’on vous donnera ; cherchez, et vous trouverez ; frappez, et l‘on vous ouvrira."
Luc 11:9, Matthieu 7:7
Très saint père,
Vous avez choisi un nom dont la symbolique est forte pour l’ensemble des chrétiens, un saint connu pour sa sensibilité aux pauvres mais aussi à l’ensemble de la création, et en particulier les animaux ; à travers ce message et cet envoi de quelques livres je souhaiterais plaider auprès de vous pour une catégorie particulière de chrétiens que l’Eglise semble avoir oubliés en chemin : on les nomme "végétariens" ou "végans" selon la rigueur de leur observance ; à 63 ans, chrétien catholique, je suis l’un d’eux, végétarien depuis plus de trente années maintenant et pro-vie. Un ami facteur d’orgue a eu l’occasion de rencontrer le prix nobel de la paix 1952, Albert Schweitzer et m’a permis d’approfondir son message, le respect de la vie ; c’est pour cela aussi que je vous écris.
L’Eglise aurait sûrement à gagner en écoutant plus attentivement le message des végétariens si dérangeant parfois, un message qui n’appartient ni à une culture ou une religion particulière, pas davantage à un temps particulier, il est intemporel, celui de la compassion. Un message que l’on pourrait voir aussi relever de ce que l’Eglise nomme "Loi Naturelle".
Déjà dans la Bible au moins trois passages attirent notre attention à leur sujet :
Genèse 1:29 Et Dieu dit : Voici, je vous donne toute herbe portant de la semence et qui est à la surface de toute la terre, et tout arbre ayant en lui du fruit d’arbre et portant de la semence : ce sera votre nourriture.
30 Et à tout animal de la terre, à tout oiseau du ciel, et à tout ce qui se meut sur la terre, ayant en soi un souffle de vie, je donne toute herbe verte pour nourriture. Et cela fut ainsi.
31 Dieu vit tout ce qu’il avait fait et voici, cela était très bon. Ainsi, il y eut un soir, et il y eut un matin : ce fut le sixième jour.
Une terre heureuse d’avant le péché originel ...
Daniel 1:12 Eprouve tes serviteurs pendant dix jours, et qu’on nous donne des légumes à manger et de l’eau à boire ;
13 tu regarderas ensuite notre visage et celui des jeunes gens qui mangent les mets du roi, et tu agiras avec tes serviteurs d’après ce que tu auras vu.
14 Il leur accorda ce qu’ils demandaient, et les éprouva pendant dix jours.
15 Au bout de dix jours, ils avaient meilleur visage et plus d’embonpoint que tous les jeunes gens qui mangeaient les mets du roi.
16 L’intendant emportait les mets et le vin qui leur étaient destinés, et il leur donnait des légumes.
17 Dieu accorda à ces quatre jeunes gens de la science, de l’intelligence dans toutes les lettres, et de la sagesse ; et Daniel expliquait toutes les visions et tous les songes.
18 Au terme fixé par le roi pour qu’on les lui amenât, le chef des eunuques les présenta à Nebucadnetsar.
19 Le roi s’entretint avec eux ; et, parmi tous ces jeunes gens, il ne s’en trouva aucun comme Daniel, Hanania, Mischaël et Azaria. Ils furent donc admis au service du roi.
20 Sur tous les objets qui réclamaient de la sagesse et de l’intelligence, et sur lesquels le roi les interrogeait, il les trouvait dix fois supérieurs à tous les magiciens et astrologues qui étaient dans tout son royaume.
Une terre heureuse vers la fin des temps ...
Esaïe 11:6 Le loup habitera avec l’agneau, Et la panthère se couchera avec le chevreau ; Le veau, le lionceau, et le bétail qu’on engraisse, seront ensemble, Et un petit enfant les conduira.
7 La vache et l’ourse auront un même pâturage, Leurs petits un même gîte ; Et le lion, comme le boeuf, mangera de la paille.
8 Le nourrisson s’ébattra sur l’antre de la vipère, Et l’enfant sevré mettra sa main dans la caverne du basilic.
9 Il ne se fera ni tort ni dommage Sur toute ma montagne sainte ; Car la terre sera remplie de la connaissance de l’Eternel, Comme le fond de la mer par les eaux qui le couvrent.
Esaïe 65:25 Le loup et l’agneau paîtront ensemble, Le lion, comme le boeuf, mangera de la paille, Et le serpent aura la poussière pour nourriture. Il ne se fera ni tort ni dommage Sur toute ma montagne sainte, Dit l’Eternel.
Pourtant, lorsqu’on examine la triste condition de l’homme dans notre temps présent, comment ne pas dresser un parallèle avec celle que nous accordons aux animaux, et tout particulièrement à ceux destinés à notre consommation aussi bien alimentaire que vestimentaire ? Qui d’entre-nous les tue de ses propres mains ? Si cela arrivait peut-être éprouverions-nous de la pitié ; mais il existe des témoignages, très nombreux sur ces terribles conditions ; comment cette souffrance ne pourrait-elle pas rejaillir sur l’homme ? ... et qui écoute ces témoignages en dehors de quelques sociétés amies des animaux ?
En tant que pro-vie, j’ai lutté pour la protection de l’enfant à naître, si négligé lui aussi par nos sociétés de consommation ; un ami docteur, bien connu dans ce milieu pour sa publication pro-vie "les cahiers de St Raphaël" a publié certains de mes articles (n°91 p 101-102), ou rendu hommage à mon combat pour faire reconnaître cette cause auprès des végétariens (n° 103 p 63-64). Mais qui entendra ce que les végétariens ont à dire, au sein de l’Eglise, eux dont le nom n’est même pas prononcé dans les documents officiels ? Les ouvrages joints à ce courrier montrent pourtant qu’il y a une riche matière à réflexion :
- "Les végétariens, raisons et sentiments", André Méry, ed La Plage, avec une préface élogieuse de Theodore Monod (auteur de "Révérence à la vie" en hommage à Albert Schweitzer)
- "Religious vegetarianism : from Hesiod to the Dalai Lama" - Kerry S Walters and Lisa Portmess, ed State University of New-York Press
- "They shall not hurt or destroy : animal rights and vegetarianism in the western religious traditions" - Vasu Murti ed VAP, Cleveland USA
- "Animal Theology" - Andrew Linzey (Oxford faculty of theology) - University of Illinois Press
- "Is God a vegetarian ? Christianity, vegetarianism and animal rights" - Richard Young (professor of New Testament studies at Temple Baptist Seminary) - ed Chicago and La Salle, Illinois
- "Albert Schweitzer" - pasteur Laurent Gagnebin - ed Desclée de Brouwer
noter que ce pasteur a pu aussi parler du "rôle prophétique des végétariens" ...
à côté des quelques ouvrages joints à cet envoi, on peut noter parmi tant d’autres : - "L’animal, l’homme et Dieu" - Michel Damien (ed Cerf)
- "L’âme des animaux" - Jean Prieur (ed Robert Laffont)
- "Horizon de lumière : réflexions sur la souffrance humaine et animale" - père Jean Martin - JMG editions
- "Vegetarians and vegans in America today" - Karen and Michael Iacobbo (Praeger publishers)
- autres ouvrages de Andrew Linzey tels que "Why animal suffering matters : philosophy, theology and practical ethics", "The link between animal abuse and human violence", "animal rights, a christian assessment" ...
Ne peut-on mettre en parallèle les paroles du pape Benoît XVI citées plus haut, à l’occasion de la Journée Mondiale de la Paix 2010 avec ces textes anciens ?
"Ne serait-ce que pour enseigner la bienveillance à l’humanité, nous devons éprouver de la pitié envers les autres créatures"
Plutarque
"Car aussi longtemps que les hommes massacrent les animaux, ils vont s’entretuer. En effet, celui qui sème la graine du meurtre et de la douleur ne peut pas récolter la joie et l’amour"
Pythagore
ou plus récents :
- "Notre tâche doit être de nous libérer nous-même en élargissant notre cercle de compassion pour embrasser toutes les créatures vivantes et l’intégralité de la nature et de sa beauté"
- "Rien ne pourra être plus bénéfique à la santé humaine ni accroître les chances de survie de la vie sur la Terre, qu’une évolution vers un régime végétarien."
Albert Einstein
"L’éthique consiste donc à me faire éprouver par moi-même la nécessité d’apporter le même respect de la vie à tout le vouloir-vivre qui m’entoure autant qu’au mien (...) Le bien c’est de maintenir et de favoriser la vie ; le mal c’est de détruire la vie et de l’entraver"
Albert Schweitzer ("Les civilisations et l’éthique")
Ce qui peut faire relever le végétarisme de la Loi Naturelle telle qu’évoquée dans "à la recherche d’une éthique universelle, nouveau regard sur la loi naturelle", commission théologique internationale, ed Cerf, est le fait que des textes très évocateurs existent chez Gandhi, Platon, Plutarque, Pythagore, et également de Gautama Bouddha ou de Krishna dans le Mahabharata, que l’on retrouve des végétariens en Islam comme dans tant d’autres religions et chez les athées aussi. D’où leur vient cette compassion ? Le diable peut-il créer la compassion ? Si la pitié ne vient pas du diable, alors ne vient-elle pas sans doute de Dieu ... ?
Pour Darwin : "Il est évident que la nourriture normale de l’homme est végétale"
Ainsi le message végétarien peut-il rester ignoré des catholiques et notamment du catéchisme catholique ?
Serez-vous, très saint père, en hommage au nom que vous avez choisi de porter, le premier pape à rendre à ce message éthique la place qui lui revient dans l’Eglise ?
Ces hommes et femmes font toute l’année carême sans viande ni poisson par simple sentiment de compassion envers ce qui vit, nulle religion ne les y oblige ; pourtant lorsque Zachée (Luc 19:8-10) alla plus loin que ce qui était prescrit, Jésus ne le félicita-t-il pas ? Qui dans l’Eglise les a un jour félicité ? Ils sont des inconnus, même pas nommés, ignorés, et pourtant depuis des temps immémoriaux ils poursuivent leur chemin espérant un jour être entendus, voire même compris au nom du christianisme et de ses valeurs.
Qui sait, peut-être que la réussite du combat pour le respect de l’enfant à naître passe aussi par là : le respect de la création.
Jean-Marc Noyelle