Publié dans la revue Choisir.ch
En tant que responsable de l’association chrétienne Fraternité pour le respect animal (FRA), j’aimerais présenter une perspective alternative à celle du Père Etienne Perrot au sujet de la campagne Million Dollar Vegan. Je comprends parfaitement que cette campagne puisse provoquer des réactions négatives. Quand j’ai appris son existence, cela m’a surpris également. J’ai eu peur que le public s’imagine que cette organisation cherche à “acheter” le pape, pour le pousser à devenir végétalien pendant le Carême. J’ai alors entrepris de me renseigner pour mieux comprendre les enjeux et leurs objectifs des personnes qui s’en occupent. Et c’est ainsi que j’ai compris pourquoi les organisateurs ont pris ce risque, en toute conscience. Ils l’ont fait précisément pour attirer l’attention sur l’urgence de la situation climatique qui menace la planète, de même que sur l’ampleur des souffrances que nous causons quotidiennement aux animaux.
Il est tellement dommage de passer à côté de l’essentiel et de caricaturer cette campagne en la réduisant à une forme de chantage. Elle est une réaction à l’inaction de la plupart de nos dirigeants face à la catastrophe écologique dont ne cessent de nous alerter les scientifiques. Et pour une fois, la thématique de la souffrance et de l’exploitation des animaux pourrait enfin être mise en lumière au sein de l’Église. Depuis trop longtemps, nous, les catholiques concernés par la cause animale, ne sommes pas écoutés. Cette campagne m’a redonné espoir de voir enfin ce sujet sur la table des conversations. J’y vois une opportunité exceptionnelle de faire le lien entre la souffrance animale, la destruction de la planète et le la situation désespérée des populations les plus pauvres, en médiatisant le problème à l’échelle mondiale. Trois problèmes étroitement liés par une cause commune : l’industrie de l’élevage et de l’exploitation massive des créatures de Dieu pour le bon plaisir des pays riches.
Prendre le temps de se renseigner
J’ai constaté que ceux qui réagissent avec négativité et véhémence, sont ceux qui n’ont pas regardé plus loin que le titre et la phrase d’accroche de cette campagne. C’est pourquoi j’invite les gens à visiter leur site, à consulter leur FAQ, leurs vidéos et leurs articles.
Cette campagne n’est pas la première à interpeller l’Église sur ces sujets. Mon organisation a elle-même essayé à trois reprises, par des campagnes et des pétitions, d’appeler le pape à s’élever contre la souffrance et l’exploitation des animaux. Nous n’avons jamais reçu de réponse. D’autres associations ont fait de même. J’ai compilé plusieurs pétitions adressées au pape sur cette question. J’ai dénombré près de 500’000 signatures. La réponse de l’Église, dans tous les cas, pour autant que je sache, a été le silence. Ce sont les préoccupations de près d’un demi-million de personnes bienveillantes qui n’ont pas été entendues. Nous savons tous le mal que le silence fait aux victimes innocentes. Le rien faire, le laisser-faire nous rend complices. Alors il est de mon devoir de clarifier les mauvaises interprétations qui ont été faites au sujet de cette nouvelle campagne.
Certaines personnes s’indignent devant cet appel au pape François, avec un million de dollars à la clé. Réfléchissons sincèrement : où est le mal ? n’est-il pas ailleurs ? n’est-il pas plutôt du côté de ceux qui veulent s’enrichir au détriment de la vie ? ou de ceux qui accumulent les richesses ? Est-il vraiment du côté de cette fondation qui est prête à s’engager en faisant don de ce montant à des organismes de bienfaisance ? N’est-il pas plutôt généreux de donner par souci du plus grand bien commun ? Au lieu de se focaliser à chercher l’erreur ou la faute de la campagne, il faut aller au delà et considérer l’injustice qu’elle combat : la souffrance des victimes humaines et non humaines innocentes, et l’urgence climatique. Le monde serait différent si l’argent était mieux réparti et entre les mains de bonnes personnes désireuses de le redistribuer avec altruisme. Pourquoi ne pas considérer Million Dollar Vegan comme une opportunité pour ceux qui en ont besoin.
Une tragédie intolérable qui interpelle les chrétiens
Je vois dans cette initiative l’occasion de mettre en lumière cette tragédie intolérable qu’est l’exploitation, la souffrance et la mort de milliards d’animaux destinés à la consommation humaine. L’article du Père Perrot omet de mentionner cet aspect de la campagne. On s’offusque davantage de ce que pourrait éventuellement ressentir le pape que de ce qui arrive chaque seconde de chaque jour aux animaux sensibles, dans la misère des élevages industriels et des abattoirs. Je fais confiance au pape François, à son intelligence et à sa bienveillance pour ne pas se positionner personnellement en victime d’un forme de chantage mais pour comprendre l’impact positif que cette campagne pourrait générer dans le monde entier.
Toute tentative de créer un monde meilleur et plus pacifique doit inclure une volonté de développer une prise de conscience du problème, celle des animaux qui sont mis au monde juste pour être tués puis consommés, et un désir d’y mettre un terme. Ce n’est pas le dessein de Dieu pour sa création que cette destruction massive de la vie et des créatures qui lui appartiennent. Pourquoi déciderions-nous d’introduire intentionnellement plus de violence dans le monde en prenant des vies animales, alors que nous avons la possibilité de vivre bien et en bonne santé quand nous avons accès à des alternatives ? Cette campagne nous demande simplement de faire preuve de ce que l’essence chrétienne a de plus beau à offrir : la compassion, l’amour et la non-violence.
L’exemple que Jésus nous donne, en tant qu’homme, c’est d’être un serviteur des autres. Ainsi devrions-nous peut-être considérer que la place appropriée de l’humain dans la création pourrait être celle où il prend soin de tous les autres êtres sensibles, humains et animaux et de la Terre au lieu de leur faire du mal. En outre le christianisme soutient depuis longtemps que la compassion pour les pauvres, les malades, les faibles, les vulnérables, ceux qui ne peuvent parler pour eux-mêmes, est le rôle du chrétien. Puisque nous savons que les animaux souffrent et tiennent à leur vie, pourquoi ne pas profiter de cette occasion pour leur offrir compassion et non-violence, en les laissant hors de nos assiettes ? Le Carême pourrait effectivement s’avérer, pour les chrétiens, une période propice à ce type de réflexion.
Ce sont les chrétiens par leur commandement d’amour du prochain qui devraient être au premier rang devant la lutte contre cette injustice. Norm Phelps dans son livre "Dominion of Love" nous rappelle : « En tant qu’êtres sensibles, les animaux peuvent souffrir de notre cruauté et bénéficier de notre bonté, tout dépend de nous. La Bible enseigne la bonté et condamne la cruauté, il n’est pas nécessaire d’être un scientifique ou un théologien pour tirer cette conclusion évidente. » Alors pourquoi ne pas choisir la voie simple du bon sens au lieu de créer un enchevêtrement d’arguments et d’objections de plus en plus alambiqués lorsque la preuve que les animaux souffrent est juste devant nos yeux. Ne serait-ce pas une invitation à une conversion de notre regard vers l’animal ? En ce qui concerne le respect de toute la vie ? Une invitation à quitter notre place centrale et à la redonner à Dieu, Dieu au centre pour que l’homme puisse trouver sa juste place.
Nous n’insisterons jamais assez sur le fait que se soucier des animaux ne mène en aucun cas à se soucier moins des humains. Pourquoi vouloir y voir systématiquement une dualité, ou une compétition ? « Occupez vous d’abord des humains qui souffrent ! » Pourquoi pas les deux ? Il ne sont pas exclusifs ou incompatibles. L’Amour de Dieu n’est pas infini, ainsi que sa Miséricorde ? N’imposons pas de limites à ce que Dieu est capable d’accomplir et à ceux que Dieu est capable d’aimer.
Dans la suite de Laudato si’
Avec l’encyclique Laudato si’, le pape François s’est montré extrêmement proche des objectifs de cette campagne. Ce qui lui est demandé, c’est de poursuivre les engagements qu’il a déjà pris pour la sauvegarde de notre maison commune. Si le pape n’a jamais clairement cité l’industrie de l’élevage, il a souvent montré sa préoccupation au sujet de la faim dans le monde et du partage inéquitable des ressources naturelles. Le pape lui-même l’a dit : « Tout est lié. » La campagne invite le pape à mieux faire le lien entre la souffrance de la nature, des hommes et des animaux. Et la meilleure façon d’agir sur tous ces fronts à la fois est de diminuer notre consommation de produits animaux. C’est une action concrète que chacun est en mesure de prendre.
Je crois que Million Dollar Vegan est en adéquation avec l’urgence actuelle à se saisir de tous ces problèmes pour l’avenir de notre planète, des populations les plus vulnérables et de la souffrance de milliards d’animaux. Si certaines personnes sont choquées par cette campagne, ce qui me choque le plus, c’est l’indifférence générale de nos gouvernements et le silence des Églises. Cette campagne n’est finalement qu’une invitation à se rejoindre au mouvement de tous ceux qui se préoccupent et agissent face à l’urgence écologique et à ses conséquences dévastatrices sur toutes ses formes de vie sur Terre, et face à l’ampleur de la souffrance animale dans les systèmes de productions industrialisés.
J’espère que le pape écoutera Genesis Butler et lui répondra avec le sérieux que méritent ses préoccupations pour l’avenir de la planète, les animaux et les humains. Ce sont les enfants qui viennent aujourd’hui nous alerter sur l’impact de nos actions. Ils nous disent et crient à voix haute qu’ils ne voudraient pas hériter d’une planète mourante et qu’ils voudraient que le monde soit davantage fondé sur la compassion et la non-violence que sur l’exploitation impitoyable et la souffrance à grande échelle.
Estela Torres