Que mangerait Jésus à Noël ?

, par Pierre

Source (texte en anglais) : sarx.org.uk

Noël est une saison d’abondance. Les tables ploient sous la nourriture. Les cuisines se remplissent des odeurs familières de rôtis, d’herbes et d’épices. Les familles se rassemblent, les traditions sont honorées, et nous nous rassurons en nous disant que c’est cela, la fête.

Et pourtant, Noël raconte une autre histoire.

C’est l’histoire d’un Dieu qui entre dans le monde discrètement, sans excès. Un enfant né parmi les animaux, et non au-dessus d’eux (Luc 2,7). Un sauveur dont le premier lit est une mangeoire, dont l’arrivée n’est pas annoncée aux puissants mais à des bergers veillant dans la nuit. Noël ne commence pas par le triomphe, mais par la vulnérabilité.

Ce qui soulève une question dérangeante, que nous posons rarement au milieu des festivités :

Que mangerait Jésus à Noël ?

Non pas comme une préférence alimentaire, ni comme une épreuve de pureté morale, mais comme une question de fidélité. Quelle sorte de table refléterait le Royaume que sa naissance annonce ?

Les mots de Noël et les habitudes de Noël

Quand les chrétiens parlent de Noël, certains mots viennent facilement. Bonne nouvelle. Grande joie (Luc 2,10). Paix sur la terre (Luc 2,14). Amour. Espoir. Nous chantons les anges, la lumière, la réconciliation. Nous proclamons le Christ Prince de la Paix, celui qui vient établir un royaume de justice et de droiture (Ésaïe 9,6–7).

Il est frappant de constater qu’un autre mot s’est glissé sans heurt dans ce vocabulaire : la viande. Au Royaume-Uni, la dinde est devenue si étroitement associée à Noël qu’elle semble inévitable, comme si elle faisait partie intégrante du festin.

Pourtant, ce lien n’est ni ancien ni biblique. La dinde était inconnue en Grande-Bretagne avant le XVIᵉ siècle et ne s’est répandue que bien plus tard. Ce qui nous paraît intemporel est en réalité très récent. Plus récents encore sont les systèmes qui produisent aujourd’hui la viande de Noël à grande échelle.

Cela a de l’importance, car Noël n’est pas seulement une célébration du passé. C’est aussi un signe de ce qui vient. Se demander ce qui a sa place sur la table de Noël, c’est se demander quel monde nous sommes en train d’accueillir.

Les animaux de la crèche et les animaux du marché

Le récit de la Nativité est peuplé d’animaux. Bœuf et âne, brebis et agneaux, des créatures présentes non comme décorations mais comme compagnes de l’incarnation de Dieu. L’incarnation a lieu au milieu d’eux. Dieu choisit de naître au cœur de la vie partagée des créatures.

Cela ne devrait pas nous surprendre. L’Écriture affirme constamment que les animaux appartiennent à Dieu et comptent pour Dieu. « La terre est à l’Éternel, et tout ce qu’elle renferme » (Psaume 24,1). Dieu déclare les animaux bons (Genèse 1,24–25), se réjouit d’eux (Psaume 104,31), les inclut dans son alliance (Genèse 9,8–10) et promet leur restauration aux côtés de l’humanité (Ésaïe 11,6–9 ; Colossiens 1,20).

Et pourtant, dans nos célébrations, les animaux apparaissent sous une forme bien différente. Non comme des créatures semblables à nous, mais comme des produits. Non comme des vies, mais comme des portions. Leur souffrance est tenue à distance, dissimulée derrière les emballages, la publicité et la tradition.

Cette dissonance est facile à manquer parce qu’elle est normalisée. La plupart d’entre nous ont hérité d’une manière de penser où certains animaux sont faits pour être chéris, d’autres pour être consommés, et où cette frontière semble naturelle plutôt que culturelle. L’Écriture remet sans cesse en question cette complaisance. « Le juste prend soin de ses bêtes, mais la compassion des méchants est cruelle » (Proverbes 12,10).

Noël intensifie ce défi plutôt que de l’adoucir. En Jésus, Dieu ne surplombe pas la création : il y entre. Le Verbe se fait chair (Jean 1,14), non comme une abstraction, mais comme un corps vulnérable dépendant des soins d’autrui, humains et non humains.

Une concession, pas une célébration

Certains objecteront que Jésus lui-même mangeait de la viande. Les Évangiles le situent dans les pratiques alimentaires de son époque, et il serait malhonnête de le nier. Mais cette observation est souvent utilisée trop rapidement, comme si elle closait la question au lieu de l’ouvrir.

Même si Jésus participait aux pratiques alimentaires de son temps mangeant du poisson, prenant part aux repas de fête ce monde n’a que peu de choses en commun avec une époque d’élevage industriel, d’abattage dissimulé et de chaînes d’approvisionnement mondialisées qui transforment les vies en marchandises.

La Bible elle-même aborde la consommation des animaux avec prudence. Dans la vision initiale de la création, humains et animaux reçoivent tous les plantes pour nourriture (Genèse 1,29–30). La violence est absente de la déclaration de Dieu selon laquelle la création est « très bonne » (Genèse 1,31). La permission de manger des animaux apparaît plus tard, après le déluge, non comme un idéal mais comme une concession à un monde brisé (Genèse 9,3–5), accompagnée de la peur, de l’effroi et d’un avertissement : la vie ne doit pas être prise à la légère.

Cette tension traverse toute l’Écriture. La viande est permise, mais jamais célébrée comme l’intention première de Dieu. Le soin des animaux est régulièrement exigé, même lorsqu’il entre en conflit avec l’efficacité ou le profit (Deutéronome 25,4 ; Exode 23,12). Des limites sont posées à l’appétit humain. La retenue est présentée comme un bien moral.

Jésus lui-même renvoie à ce schéma lorsqu’il parle de pratiques autorisées « à cause de la dureté de votre cœur », sans refléter l’intention originelle de Dieu (Matthieu 19,8). Noël s’inscrit pleinement dans cette histoire. Il n’efface pas la fragilité humaine, mais il ne la bénit pas non plus. L’incarnation est la manière dont Dieu entre dans un monde compromis pour le guérir, non pour en approuver toutes les habitudes.

Pour les chrétiens, cela ouvre la possibilité de voir l’alimentation végétale non comme une règle à imposer, mais comme un signe certes imparfait de la paix que nous espérons et attendons.

Manger dans l’attente du Royaume

La foi chrétienne est façonnée non seulement par la mémoire, mais par l’attente. L’annonce angélique de la paix n’est pas un vœu pieux. C’est une promesse. Une déclaration selon laquelle l’histoire s’oriente vers la réconciliation.

Les prophètes imaginaient cet avenir comme un royaume de paix, un monde où la violence ne gouverne plus les relations entre les créatures (Ésaïe 11,6–9). Le Nouveau Testament affirme que, dans le Christ, cet avenir a déjà commencé. La création elle-même, écrit Paul, aspire à la libération et au renouvellement (Romains 8,19–22).

Les chrétiens sont appelés à vivre dès maintenant à la lumière de ce qui vient, à pratiquer imparfaitement la vie du Royaume. « Dépouillez-vous du vieil homme », exhorte Paul, « et revêtez-vous de compassion, de bonté, d’humilité, de douceur et de patience » (Colossiens 3,9–12).

La nourriture fait partie de cette pratique. Manger n’est jamais seulement un acte biologique. C’est un acte culturel, social et profondément symbolique. Ce que nous choisissons de manger, et la manière dont cela est produit, reflète ce que nous valorisons et quelles vies nous jugeons sacrifiables.

Les festins de Noël ne sont pas de simples repas. Ce sont des répétitions de ce que nous croyons être la célébration. Ils racontent une histoire d’abondance, d’appartenance, et de la valeur que nous accordons aux vies.

La paix sur la terre, à table

À Noël, la paix est partout dans notre langage et notre musique. Nous la chantons, nous prions pour elle, nous l’échangeons dans nos salutations. Pourtant, dans l’imaginaire biblique, la paix n’est jamais abstraite. Elle se pratique, s’incarne et se met à l’épreuve dans les décisions ordinaires. « Recherche la paix et poursuis-la » (Psaume 34,14).

Les systèmes industriels qui dominent aujourd’hui l’élevage animal s’accordent mal avec cette vision. Au Royaume-Uni seulement, des millions d’animaux consommés à Noël sont élevés dans des systèmes intensifs en intérieur, conçus pour l’efficacité plutôt que pour le soin. La souffrance n’est pas un accident de ces systèmes, mais une condition de leur réussite.

Jésus remet constamment en question les formes de pouvoir qui privilégient le gain au détriment de la miséricorde. Il rappelle que Dieu veut la compassion, non le sacrifice (Matthieu 9,13), et met en garde contre une piété qui dissimule le mal. Il est difficile d’imaginer que la souffrance systémique intégrée aux systèmes alimentaires modernes soit compatible avec celui qui s’est identifié aux « plus petits d’entre eux » (Matthieu 25,40).

Noël nous invite à regarder de nouveau. Non pour nous condamner nous-mêmes ou les autres, mais pour remarquer l’écart entre ce que nous célébrons et ce que nous entretenons.

Une autre forme d’abondance

L’une des peurs silencieuses qui alimentent la résistance au changement est la peur de la perte. La crainte qu’un Noël sans viande soit appauvri, triste, moins généreux. Pourtant, cette idée en dit plus sur l’habitude que sur la réalité.

L’Écriture affirme sans cesse que l’abondance de Dieu ne dépend pas de l’exploitation. « L’Éternel est bon envers tous, et ses compassions s’étendent sur toutes ses œuvres » (Psaume 145,9). Dans de nombreuses cultures, la nourriture végétale est depuis longtemps associée au festin, à l’hospitalité et au plaisir. Ce qui est souvent présenté comme un sacrifice peut, en pratique, être une redécouverte de l’abondance, libérée de l’excès.

Vu sous cet angle, choisir la compassion à Noël n’est pas une question d’ascétisme ou de privation. C’est une question d’alignement. Il s’agit de permettre à l’histoire que nous racontons par nos paroles et nos chants de trouver un écho, même imparfait, dans notre manière de vivre.

Pour certains, la fidélité cette année pourra signifier essayer un repas entièrement végétal. Pour d’autres, elle commencera par de plus petits gestes — mettre les légumes au centre plutôt que la viande, choisir des options à plus haut niveau de bien-être animal, ou simplement laisser l’inconfort interrompre l’habitude. Noël demande rarement la perfection, mais il invite souvent aux premiers pas.

À quoi ressemblerait la fidélité ?

La question « Que mangerait Jésus à Noël ? » n’a pas pour but de produire une réponse unique et uniforme. Elle vise à nous déstabiliser juste assez pour ouvrir un espace de réflexion.

À quoi ressembleraient nos tables si nous prenions au sérieux la vulnérabilité au cœur de la Nativité ? Si nous laissions le chant des anges sur la paix dépasser le sentiment pour entrer dans la pratique ? Si nous nous souvenions que le Royaume inauguré par le Christ inclut non seulement l’humanité, mais « toutes choses, celles qui sont sur la terre et celles qui sont dans les cieux » (Colossiens 1,20) ?

Peut-être que la table de Noël la plus fidèle n’est pas celle qui conserve toutes les traditions, mais celle qui ose se demander si ces traditions servent encore la bonne nouvelle que nous célébrons.

Si Noël proclame la paix sur la terre, alors il vaut la peine de se demander calmement, honnêtement si un festin de paix peut reposer sur une violence cachée.