Pour introduire à ce sujet, nous invitons le lecteur à consulter le livre de Jean Gaillard, « Les animaux, nos humbles frères » aux Editions Fayard.
Ce livre constitue, en langue française, un des livres précurseurs sur la question animale et l’Eglise. Il a été édité en 1986.
Jean Gaillard s’est par ailleurs activement engagé au sein de l’Association Catholique pour le Respect de la Création animale dont il est actuellement le courageux président.
Les papes (p. 95, op.cit.)
Saint Pie V
Au XVIè siècle, selon le vœu du Concile de Trente, le Pape Saint Pie V a tenté de faire définitivement disparaître les combats contre les animaux, en particulier des taureaux, qui s’étaient maintenus dans la Chrétienté, en Espagne surtout. Dans sa célèbre bulle De salute gregis (1567), il n’hésite pas à utiliser l’arme de l’excommunication :
« Considérant que ces spectacles où taureaux et bêtes sauvages sont poursuivis au cirque ou sur la place publique sont contraires à la piété et à la charité chrétienne, et désireux d’abolir ces sanglants et honteux spectacles dignes des démons et non des hommes (…) à tous et chacun des prince chrétiens, revêtus de n’importe quelle dignité, aussi bien ecclésiastique que profane (…) Nous défendons et interdisons, en vertu de la présente Constitution à jamais valable, sous peine d’excommunication encourue ipso facto, de permettre qu’aient lieu (…) des spectacles de ce genre où on donne la chasse à des taureaux et à d’autres bêtes sauvages.
Nous interdisons également aux soldats et autres personnes de se mesurer à pied ou à cheval,dans ce genre de spectacle, avec des taureaux et des bêtes sauvages. Si quelqu’un vient à y trouver la mort, que la sépulture ecclésiastique lui soit refusée. Nous interdisons également, sous peine d’excommunication, aux clercs aussi bien réguliers que séculiers (…) d’assister à ces spectacles (…) Nous ordonnons à tous les princes (…) d’observer strictement toutes les clauses prescrites ci-dessus (…) nous ordonnons à tous nos vénérables frères archevêques et évêques , de publier suffisamment en leurs diocèses respectifs la présente lettre et de faire observer lesdites prescriptions… »
Benoît XV
Si les papes ne sont pas parvenus à faire observer leur volonté et si les courses de taureaux sont encore pratiquées dans des pays de tradition chrétienne (Espagne, France, Amérique Latine), la position de principe de l’Eglise n’a pas changé. Le secrétaire d’Etat de Benoît XV, le Cardinal Gasparri, l’a rappelé dans une lettre adressée à la présidente de la S.P.A. de Toulon (23 octobre 1920) : « Que si (…) la barbarie humaine se retranche encore dans les combats de taureaux , il n’est pas douteux que l’Eglise continue à condamner hautement , ainsi qu’elle l’a fait par le passé, ces spectacles sanglants et honteux. C’est vous dire aussi combien elle encourage toutes les nobles âmes qui travaillent à effacer cette honte et approuve de grand cœur toutes les œuvres établies dans ce but et dirigeant leurs efforts à développer, dans nos pays civilisés, le sentiment de la pitié envers les animaux. »
Par la suite et jusqu’à nos jours, en réponse à des demandes d’amis des bêtes, le Vatican a confirmé la pensée de l’Eglise en se référant à la bulle de Saint Pie V et à la lettre du Cardinal Gasparri. Si la peine d’excommunication a été levée, l’interdiction religieuse d’organiser des courses de taureaux ou même d’y assister demeure. Les catholiques trop nombreux qui passent outre désobéissent à l’Eglise.
En France
Pie IX
Dès le siècle dernier, les évêques de Nîmes se sont élevés contre les courses de taureaux, qui n’avaient alors lieu que dans quelques villes du Midi. En 1863, sur le conseil du Pape Pie IX, Mgr Plantier adresse à ce sujet une longue lettre à ses diocésains. Il décrit avec indignation le spectacle de l’arène et condamnent les sentiments qui animent les spectateurs, qui se repaissent de la souffrance des taureaux, des chevaux et même des hommes :
« Quand on nous raconte le détail de ces hideux combats… nous croyons entendre un récit des temps païens… Ces jeux ne sont attrayants que par le côté du péril et de la souffrance. Ce sont surtout les inquiétudes ou les douleurs du taureau qui vous passionnent ; et certes, quoi qu’on en puisse dire, ce genre de satisfaction n’est pas chrétien. L’esprit de douceur et de mansuétude fait essentiellement le fond de l’évangile…
Du Maître, cette vertu doit passer aux disciples ; et telle en est la tendresse, telle en est l’étendue, dans les pensées de Celui qui l’a commandée, qu’elle doit s’interdire non seulement de torturer , mais même de froisser, mais même d’inquiéter un être quelconque pour se faire un divertissement de ses détresses. Barbare vis-à-vis des animaux [ce spectacle] , qu’est-il vis-à-vis de l’homme qui lutte contre eux ? Il est au moins dangereux quand il n’est pas meurtrier… Et l’on oserait dire après cela que des chrétiens peuvent assister à de pareilles scènes ? (…) Ainsi du côté du spectacle rien n’est digne du chrétien parce que tout est frivole ou barbare. »
Son successeur, Monseigneur Besson, publiait aussi en 1885 une longue instruction pastorale, où il dépeignait en termes émouvants les souffrances endurées par les chevaux et les taureaux, et réclamait avec énergie la suppression de ces spectacles « digne de la barbarie païenne et qui sont la honte de nos mœurs ».
Loin de disparaître, les courses de taureaux se sont largement répandues dans le pays au cours du XXè siècle. Entre les deux guerres, de nombreux évêques ont mis en garde leurs diocésains contre ces spectacles : les évêques d’Agen, de Limoges, Quimper, Autun, Sées, et les archevêques d’Auch et de Paris. Ce dernier, le Cardinal Dubois, concluait : « Il n’est pas douteux que les catholiques doivent s’abstenir d’assister à ces spectacles essentiellement cruels . » De nos jours, les évêques n’aiment plus beaucoup condamner, et ils restent malheureusement muets au sujet des courses de taureaux.
En Espagne
L’initiative qui aboutit à la condamnation des courses de taureaux par le Pape saint Pie V vint d’Espagne même, où certains hommes de cœur pensaient que les interdictions portées contre les tournois et les joutes par le Concile de Trente devaient s’étendre aux combats d’animaux. En 1567, Pierre Camajani, évêque italien d’Ascoli et nonce extraordinaire en Espagne, se rendit à Rome porteur d’un mémoire dans lequel soixante-dix théologiens espagnols se montraient hostiles aux corridas. Saint François de Borgia, qui l’accompagnait, conseilla au pape de donner une suite favorable à ce mémoire. C’est alors que saint Pie V promulgua la bulle De salute gregis.
La bulle souleva une vive agitation en Espagne, seul pays où les spectacles taurins s’étaient largement maintenus. Le peuple tenait en général à ces fêtes barbares organisées par la noblesse. L’attitude du roi Philippe II, qui régna de 1556 à 1598, eut un rôle déterminant. Dès le début, il s’opposa à l’application de la bulle dans ses Etats, pour ne pas mécontenter des sujets et éviter les risques d’une révolte. Il rejeta aussi les sollicitations des Cortès de Valladolid et de Madrid qui demandaient l’abolition des corridas. Pendant des années, partisans et opposants des spectacles taurins s’affrontèrent dans de virulents écrits. Le clergé se divisa et de nombreux prêtres n’hésitèrent pas à soutenir le roi contre le pape. C’est ainsi que les corridas continuèrent à avoir lieu dans le pays.
La chrétienté connaissait alors de très graves dangers. Plusieurs états de l’Europe étaient déjà passés à la Réforme et d’autres risquaient d’en faire autant. Les Turcs musulmans menaçaient sur terre et sur mer. Le roi d’Espagne, qui possédait aussi une partie de l’Italie, paraissait seul capable de sauver l’Eglise. Les papes n’osèrent pas affronter un souverain si indispensable au catholicisme et si redoutable - les troupes de Charles Quint n’avaient-elles pas pillé Rome en 1527 ?
Tout en maintenant la condamnation de principe des corridas, les successeurs de saint Pie V renoncèrent en fait à les faire disparaître d’Espagne. Ainsi, en 1586, Sixte Quint sanctionna des professeurs de l’université de Salamanque qui considéraient comme abolie la bulle De salute gregis et enseignaient que les clercs pouvaient librement assister aux corridas. Mais, à la demande de Philippe II, Grégoire XIII leva l’excommunication encourue par les laïcs dès 1572, et Clément VIII en fit autant pour le clergé en 1596. Ils affirmaient l’un et l’autre réprouver toujours les spectacles taurins mais agir dans un souci d’apaisement, puisqu’il semblait impossible de détourner les Espagnols de ces jeux sanglants auxquels ils tenaient tant.
Si pressés par les circonstances, les papes ont malheureusement cédé devant les pressions venues d’Espagne, dans ce même pays, des ecclésiastiques se sont toujours élevés contre les corridas , tels les deux célèbres écrivains Lope de Vega et Tirso de Molina, le philosophe Balmès et l’archevêque de Compostelle, qui écrivait en 1875 dans une lettre pastorale : « Dieu veuille que dès que possible disparaisse de chez les chrétiens, et spécialement chez les catholiques espagnols, les barbares corridas. »
Comme il est regrettable de trouver encore aujourd’hui des prêtres, et parfois des évêques, qui encouragent les corridas, et osent y assister malgré le droit canonique qui le leur interdit. Même si, comme l’affirme Santiago Esteras Gil, « ils représentent peu de choses à côté des nombreux autres prêtres que j’ai connus qui ne foulaient jamais le sol d’une arène » ces cas lamentables scandalisent l’opinion, et il faut souhaiter, dans l’intérêt de la religion et de l’Eglise, que les autorités ecclésiastiques réagissent énergiquement.
Mgr Iniesta, évêque auxiliaire de Madrid, « a eu le courage de chercher à réveiller la conscience collective endormie » dans une lettre à la revue Interviu (juillet 1981) :
« Sans contradiction, je peux penser qu’en son temps Jésus-Christ pourrait aller au théâtre ou au cinéma, puisqu’il y a des œuvres bonnes, médiocres ou mauvaises, mais le spectacle en soi n’est pas incompatible avec la morale qu’Il enseigne. Mais je ne peux pas me représenter le Seigneur à la corrida, passant bien le temps tandis que les hommes mettent leur vie en danger, qu’on torture de pauvres animaux jusqu’à la mort (…) au milieu d’un public passionné, et collectivement sadique, bien qu’individuellement chacun soit, avant et après, une personne normale, de bons sentiments et parfois très chrétienne. Est-il possible que Dieu ait fait les animaux pour cela ? Pouvons-nous comme chrétiens – et même comme hommes civilisés – rester indifférent devant une fête qui dégrade tellement l’homme (…) parce que la souffrance qu’il cause est absolument gratuite et n’est justifiée ni par la faim ni par la peur ou quelque autre raison ? »
Avant de finir, rappelons que les jeunes générations espagnoles se détachent des corridas, auxquelles elles préfèrent des sports comme le football. Les corridas ne se maintiennent florissantes en Espagne que grâce aux touristes étrangers qui affluent dans les arènes. Leur disparition dépendra sans doute autant des étrangers que des Espagnols. »