Cet éléphant entrera-t-il dans l’histoire de l’Église ?
Le texte original est publié sur le site du magazine KONTAKT.
Je lis... et je n’y crois pas : "Le cardinal Konrad Krajewski, aumônier du pape, a accompli samedi un geste qui a suscité l’étonnement et qui a été immortalisé sur des photos et des enregistrements : il s’est allongé dans l’arène du cirque pour montrer qu’il n’avait pas peur d’un éléphant. L’animal a doucement marché sur lui. Cela a provoqué la joie du public que le cardinal a emmené au cirque de Rome : des familles pauvres, des sans-abri, des alcooliques, des toxicomanes, des réfugiés".
J’étais assis, accablé par l’impuissance. Le cardinal, théologien, connu pour sa sensibilité à la pauvreté, expérimenté et sage, fait preuve de courage face à un animal brisé par la torture. Cette démonstration, et le spectacle dans son ensemble, est censée encourager les personnes qui se trouvent dans des situations de vie difficiles. À en juger par les applaudissements tumultueux, elle a momentanément ajouté. C’est facile pour les gens d’applaudir dans les foules, lors d’événements.
Qui sommes-nous, chrétiens ? Qui, au fond, connaît si bien les Écritures, les premières traditions de l’Église, l’écologie intégrale du pape François et l’état moral du monde ? Le pape François savait-il quel genre de spectacle il donnait ? Les questions se bousculent dans ma tête désemparée.
L’âme brisée d’un éléphant
Quel est le dressage des éléphants, des bébés éléphants ? Brièvement, au cas où les lecteurs ne le sauraient pas.
Les éléphants sont des animaux extrêmement sociaux. Les bébés éléphants passent dix ans avec leur mère avant de devenir indépendants. Si nécessaire, ils sont soignés solidairement par d’autres femelles du troupeau. Les éléphants pleurent leurs morts, et le troupeau, même après de nombreuses années, retourne à l’endroit où il a perdu un membre de sa famille. Ils ont une excellente mémoire, ce qui les fait souffrir de flashbacks et de traumatismes du passé. Ils coopèrent parfaitement entre eux et communiquent dans leur langue secrète, en utilisant entre autres les infrasons. Ils sont conscients d’eux-mêmes, se souviennent, prédisent, jugent.
C’est précisément en raison de ces qualités remarquables qu’ils sont utilisés depuis des siècles dans les cirques et pour le travail.
Pour les rendre obéissants, les éléphanteaux âgés d’un an et demi à deux ans sont arrachés de force à leur mère, préalablement enchaînée au mur pour éviter qu’elles ne se disputent le bébé. Il faut plusieurs personnes pour y parvenir. Pesant plusieurs centaines de kilos, le bébé est placé dans un enclos, où la première étape du dressage consiste à "briser son âme". Pour ce faire, on enferme l’enfant animal dans une cage étroite et on l’y immobilise à l’aide de cordes et de chaînes. Ensuite, on lui inflige des douleurs, des blessures et des coups avec des crochets acérés sur tout le corps, surtout sur les parties particulièrement sensibles (l’intérieur des oreilles, la trompe, le bas-ventre), jusqu’à ce que l’éléphant cesse de se défendre et de crier. Lorsqu’il se calme, cela signifie que sa volonté a été brisée et qu’il est prêt pour un dressage approprié.
Pour le mener à bien, on utilise encore des crochets, qui sont martelés aux endroits sensibles pour obliger l’éléphant à s’agenouiller, s’asseoir et marcher sur les cardinaux de manière à ne pas les offenser. Si nécessaire, des pistolets paralysants et des tranquillisants sont utilisés. Les éléphants adaptés pour conduire les touristes reçoivent des clous dans les oreilles et les pieds jusqu’à ce qu’ils deviennent obéissants.
Même la moitié des éléphants ne survit pas au dressage. Ceux qui survivent sont gouvernés pour le reste de leur vie par la seule peur de l’homme.
C’est devant un tel animal brisé que le cardinal Krajewski a démontré son courage. Ne savait-il rien du dressage ? Du fait que dans des dizaines de pays, il existe une interdiction totale ou partielle de l’utilisation des animaux dans les cirques ? Et là où l’interdiction n’est pas encore en vigueur, de nombreuses autorités locales n’autorisent pas de tels cirques dans les villes ?
Les animaux - la merveille de la Terre
J’admire sincèrement le cardinal pour ses actions et son véritable dévouement, y compris dans la lutte contre l’Ukraine, mais le souci des personnes n’exclut pas d’autres préoccupations. Ne connaît-il pas l’encyclique "Laudato si’" ? N’a-t-il pas lu ces mots : "...quand le cœur est vraiment ouvert à la communion universelle, alors rien ni personne n’est exclu de cette fraternité. (...) Le cœur est un, et la même misère qui conduit à maltraiter les animaux se manifestera inévitablement dans la relation avec les autres personnes. Toute cruauté envers une quelconque créature "est contraire à la dignité de l’homme"" (LS, 92) ? François poursuit en écrivant : " Le véritable développement humain est de nature morale (...) il doit aussi être orienté vers le monde naturel et "tenir compte de la nature de chaque entité et de leur interconnexion dans un système ordonné." Par conséquent, la capacité de l’homme à transformer la réalité devrait être développée sur la base de la destinée originelle des choses, qui lui a été assignée par Dieu" (LS:5).
Quelle est cette destinée originelle ? C’est la réalisation du but et des besoins inhérents de chaque être. Dieu a amené les animaux, de bons animaux, à l’homme pour qu’il ne soit pas seul. Il a fait alliance avec eux, les soigne, les nourrit, ils sont tous numérotés et constituent un miracle dans l’écosystème vivant de la Terre. Ils sont aussi les compagnons des humains sur leur chemin vers le Royaume de Dieu. C’est la chose la plus importante que les Écritures disent d’eux.
Pourquoi est-il si difficile pour les catholiques de comprendre que l’homme, créé à l’image de Dieu, est censé être aux créatures sans défense de Dieu ce que Dieu est à l’homme : un protecteur, un hôte miséricordieux qui veille à leur épanouissement ?
Le caractère satanique de la maltraitance animale
D’où vient l’indifférence de l’homme moderne à l’égard de la souffrance des animaux ? Autrefois, c’était une armure qui nous permettait de lutter pour la vie. Seulement voilà, elle n’est plus nécessaire. Pourtant, le cœur gelé des gens n’a pas dégelé. L’indifférence et la conspiration sociale du silence autour de l’exploitation animale permettent encore de la pratiquer sans retenue, pour des profits énormes, pour la commodité, les envies raffinées, le plaisir du palais, pour la tradition et le divertissement. L’exploitation se déroule derrière les murs étanches des élevages et des abattoirs, dans des enclos sinistres, dans des laboratoires stériles. Ses produits, joliment "emballés", ne sont associés à la vie pour personne.
Ce n’est pas ainsi que les choses se passaient au début. Les premiers chrétiens, les Pères de l’Eglise, les mystiques et les moines ont renoncé à la violence contre les animaux, croyant, comme saint Jérôme, que dans la mortalité il faut vivre comme si l’on vivait déjà dans le Royaume des Cieux, en professant les valeurs qui lui sont propres : amour, bonté, douceur, compassion. Des traces de la présence et de la bonté de Dieu dans les animaux ont été perçues par saint François, et le cardinal John Henry Newman a écrit : "La cruauté envers les animaux, c’est un peu comme si l’homme n’aimait pas Dieu [...]. Il y a quelque chose de terrifiant, de satanique dans l’abus de ceux qui ne nous ont jamais fait de mal et qui ne peuvent pas se défendre, qui sont complètement soumis à notre pouvoir."
Nous n’entendons pas cela dans l’Église moderne, et nous ne ressentons pas le lien entre notre foi et la façon dont nous traitons le monde. Cette question n’a pas encore été vraiment reconnue comme un véritable défi pour l’Église.
De plus, comment aurait-il pu venir à l’esprit d’un ecclésiastique que jouer avec la vue d’êtres asservis et humiliés dynamiserait et inspirerait de l’optimisme à des personnes pauvres, peut-être elles aussi soumises à la violence et faisant l’expérience de l’humiliation plus d’une fois ? Quelle idée absurde, issue d’une époque révolue : emmener les pauvres, les toxicomanes, les sans-abri en crise... au cirque ? Pour qu’en regardant des clowns, des acrobates et un éléphant - esclave, ils se sentent mieux. Fellini en aurait fait un bon film ! C’est en effet difficile à comprendre.
Assez de bêtise !
Je lis des commentaires disant que nous exagérons, que le cardinal Krajewski ne connaît rien à la formation, qu’il voulait bien faire, qu’il fait tant de bien.
Non, nous n’exagérons pas. Assez d’insouciance, assez de prétendre que l’indifférence au malheur des êtres sensibles est acceptable !
Depuis des décennies, pour ne pas dire des centaines d’années, un nombre croissant de catholiques exige du Saint-Siège un enseignement moral détaillé, tenant compte de la réalité et des connaissances, concernant les relations entre l’homme et l’animal.
Et rien. Pendant ce temps, les cris et les appels à la pitié de milliards d’animaux torturés par les humains aux quatre coins du monde résonnent dans le ciel. Nous ne devons pas rester silencieux à ce sujet ! Nous ne devons pas le permettre ! Dieu réprimandera chaque vie.
Barbara Niedźwiedzka
Chrétiens pour les Animaux - Pologne
Animatrice du mouvement Laudato si’.