A l’occasion de la fête de Pâque les chrétiens mangent souvent de l’agneau. Cette tradition est-elle chrétienne ? Quelle est la signification de cette tradition par rapport à la foi en la résurrection du Christ célébrée à chaque Pâque ?
L’origine de l’agneau pascal se trouve clairement dans la Bible. Plus précisément dans la Torah (ou Pentateuque), au chapitre 12 du livre de l’Exode. Dans ce passage le rite du sacrifice de l’agneau commémore la libération de l’esclavage en Egypte et le départ vers la terre promise. Lorsque nous consultons une concordance de la Bible nous constatons que le mot agneau est employé 129 fois dans l’Ancien Testament et 7 fois dans le Nouveau Testament. Beaucoup d’emplois dans l’Ancien Testament font référence aux divers sacrifices impliquant la mise à mort des agneaux. Un oracle du chapitre premier du livre d’Isaïe constitue cependant une critique radicale de ces sacrifices :
Que m’importe le nombre de vos sacrifices ? – dit le Seigneur. Les holocaustes de béliers, la graisse des veaux, j’en suis rassasié. Le sang des taureaux, des agneaux et des boucs, je n’y prends pas plaisir (Isaïe 1, 11).
Au chapitre 53 du livre d’Isaïe un mystérieux serviteur de Dieu connaît la souffrance, le mépris et le rejet. Pour illustrer la souffrance de cet homme le prophète le compare à un agneau :
Maltraité, il s’humilie, il n’ouvre pas la bouche : comme un agneau conduit à l’abattoir, comme une brebis muette devant les tondeurs, il n’ouvre pas la bouche (Isaïe 53, 7. Cf. aussi Actes des Apôtres 8, 32).
Un autre prophète, Jérémie, s’applique à lui-même cette image :
Moi, j’étais comme un agneau docile qu’on emmène à l’abattoir, et je ne savais pas qu’ils montaient un complot contre moi. Ils disaient : « Coupons l’arbre à la racine, retranchons-le de la terre des vivants, afin qu’on oublie jusqu’à son nom. » (Jérémie 11, 19).
Dans l’Ancien Testament l’agneau n’est pas seulement associé aux sacrifices prescrits par le culte ou encore à l’idée de la souffrance extrême. Il est aussi cité dans la belle prophétie messianique du chapitre 11 d’Isaïe :
Le loup habitera avec l’agneau, le léopard se couchera près du chevreau, le veau et le lionceau seront nourris ensemble, un petit garçon les conduira (Isaïe 11, 6).
Dans ce verset il s’agit de l’annonce paradisiaque d’une création restaurée dans la paix et l’harmonie, dans laquelle la violence et le mal sont enfin vaincus. Enfin Dieu se compare à un berger rempli de tendresse et de bienveillance envers ses créatures humaines :
Comme un berger, il fait paître son troupeau : son bras rassemble les agneaux, il les porte sur son cœur, il mène les brebis qui allaitent (Isaïe 40, 11).
Dans ce verset les agneaux et les brebis représentent les hommes aimés et sauvés par Dieu.
Même si la fête de Pâque chrétienne s’enracine dans la fête juive, elle est radicalement différente en raison du mystère de l’incarnation constituant l’accomplissement de l’histoire du salut. Dès le premier chapitre de l’Evangile selon saint Jean, Jésus est présenté par Jean comme l’agneau de Dieu qui enlève le péché du monde (versets 29 et 36). L’application de l’image de l’agneau à Jésus lui-même, dans la lignée des prophéties d’Isaïe et de Jérémie, implique l’abolition des sacrifices de l’ancienne Alliance au profit de l’instauration d’un culte nouveau pratiqué en esprit et en vérité (Jean 4, 24). La lettre aux Hébreux reprend clairement ce thème (par exemple Hébreux 9, 9-10.13-14). La même lettre ainsi que le psaume 110 (109) présentent le sacerdoce du Christ dans la lignée de celui de Melchisédech et non pas dans celle des Lévites chargés d’assurer les sacrifices d’animaux dans le temple (chapitre 7). Au chapitre 14 du livre de la Genèse le sacrifice de Melchisédech nous est ainsi présenté :
Melchisédech, roi de Salem, fit apporter du pain et du vin : il était prêtre du Dieu très-haut.
Il s’agit d’un sacrifice végétal qui sera repris précisément par le Christ lors de l’institution du mémorial de la Pâque chrétienne, le soir du jeudi saint, dans le contexte rituel de la célébration de la Pâque juive :
Pendant le repas, Jésus, ayant pris du pain et prononcé la bénédiction, le rompit et, le donnant aux disciples, il dit : « Prenez, mangez : ceci est mon corps. » Puis, ayant pris une coupe et ayant rendu grâce, il la leur donna, en disant : « Buvez-en tous, car ceci est mon sang, le sang de l’Alliance, versé pour la multitude en rémission des péchés. » (Matthieu 26, 26-28).
Comme Melchisédech le Christ, avant d’entrer dans sa Passion, choisit le pain et le vin pour instituer l’unique sacrifice de la nouvelle Alliance, alors que la logique de la fête aurait été de choisir la chair de l’agneau. L’apôtre Pierre dans sa première lettre rappelle aux chrétiens la grande valeur de cette offrande du Christ :
Vous le savez : ce n’est pas par des biens corruptibles, l’argent ou l’or, que vous avez été rachetés de la conduite superficielle héritée de vos pères ; mais c’est par un sang précieux, celui d’un agneau sans défaut et sans tache, le Christ. (1 Pierre 1, 18.19).
Au terme de ce bref et rapide parcours biblique nous comprenons que la tradition de manger de l’agneau pour fêter Pâques n’a aucun fondement ni dans le Nouveau Testament ni dans la foi chrétienne. Manger l’agneau pascal est une tradition qui relève de la foi juive. Jésus lui-même nous met en garde contre les traditions qui sont simplement humaines et qui s’imposent à nous sous un voile de religiosité (cf. Marc 7, 8.13). En tant que chrétiens il est nécessaire de nous interroger sur ce que nous faisons parfois de manière automatique simplement parce que c’est la tradition. La foi authentique est en effet bien différente des traditions. Il semble contradictoire de célébrer la fête de la vie, Pâques, victoire du Christ sur la mort, en envoyant à l’abattoir, chaque année, des milliers d’agneaux. L’agneau véritable, l’agneau de Dieu, nous est donné en communion lors de la messe de Pâque. Il nous donne sa force, sa grâce et son Esprit Saint pour que, dans la mesure du possible, nous bâtissions un monde moins violent et davantage rempli de compassion et de bienveillance aussi à l’égard des créatures animales, un monde qui contient en germe la réalisation de la prophétie messianique d’Isaïe 11, 6-9 :
Le loup habitera avec l’agneau, le léopard se couchera près du chevreau, le veau et le lionceau seront nourris ensemble, un petit garçon les conduira. La vache et l’ourse auront même pâture, leurs petits auront même gîte. Le lion, comme le bœuf, mangera du fourrage. Le nourrisson s’amusera sur le nid du cobra ; sur le trou de la vipère, l’enfant étendra la main. Il n’y aura plus de mal ni de corruption sur toute ma montagne sainte ; car la connaissance du Seigneur remplira le pays comme les eaux recouvrent le fond de la mer.
Communier au Christ agneau de Dieu, n’est-ce pas s’engager à vivre les Béatitudes ?
Heureux les doux, car ils recevront la terre en héritage. (Matthieu 5, 5). Heureux les artisans de paix, car ils seront appelés fils de Dieu. (Matthieu 5, 9).