Une réflexion sur l’animal domestique et la mort

, par Pierre

Une réflexion sur l’animal domestique et la mort,
à l’exemple du chien.
(inspiré du Mémoire de maîtrise de l’abbé Olivier Jelen)

« Près de cet endroit
Reposent les restes d’un être
Qui posséda la beauté sans la vanité,
La force sans l’insolence,
Le courage sans la férocité,
Et toutes les vertus de l’homme sans ses vices.
Cet éloge, qui serait une absurde flatterie
S’il était inscrit au-dessus de cendres humaines,
N’est qu’un juste tribut à la mémoire de
BOATSWAIN, un chien,
Né à Terre-Neuve en mai 1803,
Et mort à Newstead-Abbey, le 18 novembre 1808 ». [1]

Gerardo Monsivais

L’exemple du chien, mais également celui du cheval, montre que de la Préhistoire, à l’Antiquité égyptienne et romaine, en passant par le Moyen Âge et en allant jusqu’aux temps modernes, ces deux animaux suivent fidèlement les traces de leurs maîtres. Ils l’accompagnent notamment dans les tombes ainsi chez les Gaulois et les Mérovingiens, sans parler des Egyptiens, preuve en est des restes d’animaux dans les salles des pyramides, et également dans les sépultures du Moyen-Age. Il n’est pas rare de trouver dans les églises du XIIIè voire XIVè siècle, aux côtés des magnifiques sépultures-statuaires de nobles des petites statues de chiens. Ces derniers, souvent posés sur des coussins, ont une forte valeur symbolique, notamment celle de la fidélité, mais on peut sans autre imaginer que ces statues représentent véritablement une relation entre le maître et ces animaux représentés. Il n’est pas rare en Europe occidentale de trouver près de jardins de châteaux des ossements des animaux favoris des familles nobles et princières. Actuellement, au XXIè siècle, le sujet de la mort d’un animal domestique, semble poser problème. Pourtant certains cimetières, notamment celui d’Asnières, dans la banlieue parisienne, sont des cimetières uniquement animaliers. Ils sont difficilement acceptés par la majorité de la population, mais ils répondent à une réelle demande. Soyons honnêtes et reconnaissons que le sujet de la mort et de la possible immortalité de l’animal est un sujet très controversé dans le monde des théologiens et des ecclésiastiques.

Une théologie de libération – celle-ci reste à inventer et pourrait se différencier d’une théologie animale ou d’une théologie dite des/sur les animaux - à l’égard de l’animal pourrait rompre ce silence, ce tabou. Si, comme nous l’avons rappelé précédemment, le théologien a pour vocation d’aider tout homme à aspirer à un nouveau rapport avec la nature non plus basé sur la toute-puissance de l’homme, il doit aussi lui apprendre à respecter la vie et la mort de tout animal.

Et voilà, notre sujet final lancé : L’animal et la mort ! Si de plus en plus de revues canines spécialisées affrontent le sujet épineux de la mort de l’animal domestique [2], les théologiens, eux, se taisent voire se montrent très réservés. Affirmer que les animaux ont une place à part dans le dessein de Dieu et qu’ils participent d’une manière toute particulière à l’œuvre rédemptrice du Christ passe encore comme acceptable pour une petite majorité de théologiens. Mais affirmer que les animaux ont leur place dans le paradis aux côtés des hommes ne passe plus du tout et semble être une idée incongrue et dangereuse !

Et pourtant du côté des théologiens, la question de l’immortalité des animaux a notamment été traitée par le célèbre, mais très controversé théologien catholique, E. Drewermann [3]pour qui les animaux sont tout autant promis à une vie immortelle que les humains. « Il n’y a pas de Dieu, s’il n’y a pas d’immortalité ; car s’il existait et s’il était indifférent et insensible (…) y compris envers les plus petits êtres, il serait aussi indifférent pour nous qui pensons et sentons en dépit de notre petitesse. Ou bien tout revient : les méduses et les mouettes, les nuages et l’archipel, le soleil et la mer, ou bien tout est néant » . [4]

Pour Drewermann, il est donc important que le croyant reprenne conscience, suivant l’exemple cité par lui des Egyptiens -ceux-ci ayant inventé l’idée d’immortalité et de résurrection-, de l’unité fondamentale de toute vie ! Nous partageons également cette opinion qui est proche de l’esprit sémitique partagé par le peuple hébreux de l’Ancien Testament.

Au niveau laïque, ces réflexions trouvent des échos surtout sur internet et nombreux sont les cimetières dits, virtuels pour les animaux. Cet être que l’homme a aimé durant plusieurs années de sa vie, n’a-t-il pas droit à un peu plus de respect après sa mort. Est-il normal qu’il finisse en farine animale, ou dans un sac poubelle ? Souvenons-nous des dégats orchestrés suite à l’affaire de la vache folle, dite aussi maladie de Kreutzfeld Jacob. Quant au chagrin causé par la disparition de son chat fidèle avec qui peut-on en parler ? Pourquoi pas avec des représentants des églises ? L’Eglise, présente pour ses baptisés à tous les moments de leur vie, ne doit-elle pas être aussi présente lors de ces moments douloureux ? Ce sont justement ces moments où le sens de la vie, le sens du cosmos sont remis en question.

Ne pourrait-on pas ériger dans chaque pays un cimetière pour les animaux, comme celui d’Asnières en France près de Paris [5] ? Quant à ceux qui ne veulent pas être séparés de leurs chers disparus [6] peut-on les laisser faire ? Rappelons qu’il était courant dans l’Antiquité d’enterrer aux côtés d’un homme important, ses bijoux principaux, quelques-uns de ses esclaves, mais aussi ses animaux domestiques préférés, chien et cheval.

Notre parcours des civilisations anciennes nous a amené à citer des exemples allant du monde mésopotamien et égyptien à celui d’Israël/Palestine -exemples qui trouvent ensuite des correspondances dans l’univers grec, lui-même lié à son tour à celui du Nouveau Testament. Si dans les temps antiques, on avait attribué au chien la fonction d’accompagner les morts (Anubis, Garm …) jusqu’aux seuils des portes de l’Enfer (Cerbère, récit des apocryphes), les temps modernes eux ne lui reconnaissent plus cette fonction, au contraire le chien devient celui qui, plus encore que le (la) conjoint(e) à cause malheureusement des nombreux divorces, est le plus fidèle, le plus attaché à son (sa) maître/(esse).

Il y a donc un renversement de perspective ! Autant les religions juives et chrétiennes, la modernité et l’esprit scientifique ont retiré au chien son côté psychopompe, accompagnateur des trépassés humains, autant elle affirme le chien dans ses qualités naturelles : fidélité et don total de soi. Ses qualités font de lui un Être si exceptionnel, ce qui nous ramène à la problématique de ses origines, que le maître peut difficilement accepter la séparation de son chien par la mort. Désormais c’est l’homme qui accompagne le chien au tombeau ! C’est l’homme qui fait ses derniers pas avec son chien chez le juge entre la vie et la mort -avec souvent la difficile prise de décision de l’euthanasie du chien-, le vétérinaire.

N’y a-t-il pas là renversement des valeurs, ainsi ce n’est plus comme chez les Egyptiens, Anubis, le dieu chien, qui accompagne l’homme pour la pesée de cœur, mais bel et bien celui-ci qui s’arroge le droit de décider de la continuation ou de l’arrêt de la vie de son chien ! Quant aux adieux, aux funérailles, l’homme les veut pour son chien de plus en plus solennelles et identiques aux siennes. Dieu sait que ce n’est de loin pas nouveau et que cela constitue une constante dans l’histoire, souvenons-nous seulement de cette tombe d’Ein Mallaha, datant de 13’000 av. J.-C., voire des cimetières canins de l’époque égyptienne à Abydos, ou encore du cimetière d’Asnières érigé en 1889.

Aujourd’hui en Europe, l’érection de cimetières pour chiens et chats suscite de nombreux débats dans la société. Mais encore une fois, comment répondre autrement à la douleur éprouvée par la disparition de l’être chéri parfois durant plus d’une décennie ? Peut-on accepter cette douleur ou n’est-elle réservée que pour la gent humaine [7] ? Est-elle équivalente à celle d’une personne disparue ? Toutes ces questions justifiées, signes d’une nouvelle prise en compte de l’animal dans nos sociétés, attendent une réponse de la part des responsables et des théologiens des différentes églises chrétiennes.

Quant à l’Eglise catholique, restera-t-elle, comme à son accoutumée, dans l’expectative ou plus grave encore dans sa méfiance proche d’une condamnation de ce nouvel élan religieux ? Saura-t-elle répondre à l’attente de ces fidèles qui souhaitent que l’animal soit considéré comme le frère de l’homme ? L’avenir justifiera sûrement encore cette fameuse mise en garde romaine, retrouvée sur les dallages de Pompéi : « Cave canem ! », car les débats sont loin d’être clos et la discussion ne fait que commencer !

Je conclue en faisant mienne les si belles phrases écrites par Paul Achard :
« S’il y avait quelque part un être assez bon pour pouvoir juger toute la bonté du monde, et qu’il mît d’un coté de la balance le cœur des Chiens, et de l’autre celui de toutes les créatures de Dieu, Nos cœurs de Chiens seraient si lourds que le Juge se voilerait la face, car le Chien est plus près du Christ que l’homme. Je n’ai jamais vu d’ange, et je ne sais pas ce qui se passe au ciel ; mais, sur la terre, nul n’est meilleur que Nous (les Chiens) » [8]

Edwin LANDSEER 1802-1873
La mort du vieux berger - vers 1837
Dans un de ses célèbres tableaux, Landseer illustre l’affection qui lie l’homme à son chien. Tout le monde est rentré chez soi et le chien reste seul, refusant d’être séparé de son maître défunt.Les bergers menaient souvent une vie très solitaire et ils n’avaient souvent, pour proche compagnon, que leur chien qui les aidait à conduire le troupeau.

Notes

[1En plus de cet épitaphe mortuaire magnifiquement élogieuse et profonde pour son chien, Byron exprima même le désir, repris dans deux de ses testaments (1809 + 1811), d’être enterré dans le même caveau, caveau que Byron fit construire au milieu des ruines de l’abbaye sur l’emplacement de l’autel, que son chien. Cf. BERNHEIM Pierre-Antoine, La vie des chiens célèbres, Editions Noêsis, Paris, 1997, pp. 93 - 94.

[2UTZINGER Susy, « Der Tod von Heimtieren -"Es war doch nur ein Hund…" » in : Mein Hund -Freund und Partner, Berlin, August 1998, pp. 38-39 ; NIEHUS Christa, « Abschied von Harvey », in : Hunde -Die Zeitschrift der Schweizerischen Kynologischen Gesellschaft SKG, Bern, 11. August 2000, pp. 94 - 95.

[3DREWERMANN Eugène, De l’immortalité des animaux, Editions du Cerf, Paris, 1992, 81 p. Le titre original en allemand est plus significatif : Über die Unsterblichkeit der Tiere -Hoffnung für die leidende Kreatur. Il est paru en 1990.

[4Cf. DREWERMANN E., ibid., p. 44.

[5« En Italie, Isabelle d’Este est restée célèbre pour avoir fait enterrer tous ses animaux de compagnie dans les superbes jardins en terrasses de son palais. Mais les temps ont changé, et la loi, par souci de salubrité publique, ne permet plus que l’on ensevelisse un animal dans n’importe quel terrain, même privé. C’est ainsi qu’est né le cimetière animalier d’Asnières », cf. WILLEMIN V. & MULHERN S., Niches chiens, éditions alternatives, Paris, 2000, pp. 94 - 95. Mais Paris n’est pas la seule ville européenne a possédé un cimetière animalier. En effet, à côté de celui de Londres -à Hyde Park, près de la porte Victoria-, la ville suisse de Lausanne en compte également un depuis le mois d’août 2001.

[6Ainsi à Zurich, une femme qui fut propriétaire de chien durant plus de 60 ans, exigea dès 1968 que les cendres de ces chiens puissent être placés dans le même cercueil qu’elle. « Seither ist es in Zürich erlaubt, die Asche von Haustieren in bereits bestehenden Gräbern zu beerdigen. Auf dem Bestattungsamt muss lediglich ein entsprechendes Formular ausgefüllt werden, und die Kosten sind zu übernehmen ». La seule condition posée par l’administration municipale fut que rien n’indique la présence des chiens dans ce cercueil. Cf. « Hundeliebe bis in den Tod » in : HUNDE (Zeitschrift der Schweizerischen Kynologischen Gesellschaft SKG), n° 9, 2. Juni 2000, p. 3.

[7A la mort de son chien, Jean-Pierre Hutin, producteur de l’émission française 30 millions d’amis, écrit : « Pour la perte d’un chien, nous sommes seuls et notre peine ne peut être que vraie, authentique, car nul ne nous contraint à l’exprimer, et même, nous courons le risque de paraître ridicules à certains », cf. HUTIN J.-P., Mabrouk -chien d’une vie, Editions Robert Laffont, Paris, 1984, p. 97.

[8ACHARD Paul, Nous, les Chiens, Les éditions de la nouvelle France, Paris, 1943, p. 9.