30 Million d’Amis
Un interview d’Eric Charmetant à l’occasion du colloque#2 au Centre Sèvres le 9 octobre 2021.
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Après un premier colloque sur la place de l’animal dans l’Église, la faculté jésuite Centre Sèvres, en partenariat avec les associations Notre-Dame de toute pitié et Fraternité pour le respect animal (FRA), organise un second rassemblement, ce samedi 9 octobre, intitulé : « Quel salut pour les animaux ». Car si les recherches scientifiques menées sur la sensibilité et l’intelligence des animaux sont bien avancées, les religions semblent encore loin de ces préoccupations. Rencontre avec Éric Charmetant, docteur en philosophie, organisateur de l’événement.
Peuple-Animal : Pourquoi organiser cette série de colloques ?
Éric Charmetant : Cette idée est surtout venue de ma rencontre avec les associations coorganisatrices. Ces colloques ont pour but de faire avancer la réflexion des croyants sur la place de l’animal dans l’Église, mais peuvent également intéresser les non-croyants qui découvriront les recherches menées dans l’Église sur ces questions. Un premier colloque s’est tenu le 29 mai, avec pour thème : « Les animaux ont-ils leur place dans l’Église ? » Il y a eu une importante présentation historique montrant l’ambivalence dans l’accueil des bêtes, par exemple, entre le clergé catholique des villes, où l’animal a été éloigné de l’humain, et le clergé des campagnes, où la relation est plus étroite, avec des bénédictions d’animaux. D’un côté, l’homme est vu comme un prédateur dans l’Ancien Testament et le Nouveau, de l’autre, les animaux sont des créatures de Dieu, et même parfois des messagers lorsque l’on pense qu’une invasion de nuisibles dans un champ est un signe adressé aux chrétiens, par exemple.
Que va-t-on découvrir dans celui-là ?
É. C : Le matin sera consacré aux recherches sur la subjectivité animale, voire son inconscient, dans une perspective liant éthologie et philosophie. Raisonne-t-on par analogie avec l’être humain ou faut-il penser l’animal de manière plus large, sans hiérarchiser les animaux en fonction de leurs capacités intellectuelles ? L’après-midi sera plus « biblique », avec l’étude de textes souvent méconnus. Quelles informations peut-on trouver – ou pas – sur l’existence d’un potentiel salut pour les animaux ? Car l’au-delà n’est pas seulement pour l’humain, il est pour la création tout entière… Cela sera approfondi sous le prisme catholique, protestant et orthodoxe, car il y a des variations sur la manière de percevoir la mort des animaux. En résumé, le but est de faire connaître un certain nombre de recherches dans ce domaine, pour lesquelles, il faut l’avouer, les Anglo-Saxons sont plus avancés que nous. C’est pourquoi il y a deux conférences en anglais.
La recherche en théologie animale est une discipline relativement récente, pourquoi ?
É. C : Nous pouvons dire que le côté anthropocentré de la foi chrétienne, qui s’interroge essentiellement sur la place de l’homme, son devenir et son salut, et pour lequel l’animal n’est qu’un décor dans sa vie, est une des raisons. Aujourd’hui, on s’intéresse plus à cette dimension relationnelle entre l’homme et l’animal. Il y a un renouveau dans ces réflexions qui permet une réinterprétation des textes anciens, une nouvelle lecture. Avant, on ne prenait qu’une partie des textes, ceux dans lesquels l’homme dominait l’animal.
Quelles sont les dernières découvertes majeures qui vous ont marqué ?
É. C : J’ai été assez marqué... du philosophe Peter Singer et sa conception de la personne comme conscience de soi en des temps et lieux différents. Il affirme : "Il y a des animaux qui sont des personnes, et des humains qui n’en sont pas". Cela m’a secoué et poussé à creuser l’articulation entre anthropologie et éthique. Ensuite, des recherches en éthologie, en primatologie, autour de la culture animale, comme celles de Frans de Waal, m’ont également passionné. Elles ont montré que la frontière que l’on énonçait entre l’homme et l’animal est en vérité très complexe.
La vision de l’animal dans la religion a-t-elle évolué ?
É. C : Oui, elle a évolué, mais elle pourrait évoluer beaucoup plus. Prenons Laudato si’, la lettre encyclique du pape François. Le texte parle de la terre, des autres êtres vivants, de Dieu… Il appelle à prendre conscience de la responsabilité de l’homme vis-à-vis de la nature. On se rend compte maintenant de l’importance des animaux. Ce n’est plus juste l’homme et Dieu. Mais le texte ne parle pas d’élevage, par exemple. Le catéchisme a, lui aussi, évolué. On y enseigne la non-violence envers les animaux, le gaspillage de vie animale à travers une surconsommation… Mais il y a encore des chrétiens qui pensent que, si on s’occupe trop des animaux, on ne s’occupera plus de l’humain. Or, je pense que si on est maltraitant envers l’animal, on le sera envers l’humain, et inversement. Car l’apprentissage de l’empathie et de la bienveillance ne peut se faire séparément vis-vis des animaux et de l’être humain.