Parenthèse sur l’immortalité des animaux par l’Abbé G. de Tanoüarn

, par Pierre

Trouvé sur ab2t.blogspot.com

Histoire d’interrompre un peu le commentaire de la sainte Messe que j’ai commencé, j’ouvre une parenthèse sur le salut des animaux. J’ai promis voici quelques semaines sur les ondes de Radio courtoisie le texte de saint Thomas d’Aquin sur l’immortalité des animaux. Je tiens ma promesse mais sur ce blog pour l’instant, avant d’en faire l’objet d’une causerie radiophonique un de ces jeudis soirs. Le texte est tiré du De Potentia Q5 a9 ad 1m, l’une des grandes œuvres de saint Thomas d’Aquin qui se présente comme un recueil de questions disputées.

Ce texte offre deux considérations distinctes : le sens de la création d’une part - considération métaphysique qui est toujours d’actualité, comme le néant qui la suscite ; et la physique aristotélicienne du mouvement, remontant, par l’intermédiaire de corps célestes éternels, à un premier moteur. Autant dire que cette physique-là est définitivement périmée.

Voici le texte en latin tel que je l’ai trouvé dans la Biographie anonyme d’Alessandra di Rudini, ancienne maîtresse de Gabriele d’Annunzio, devenue carmélite. Alessandra se sert de ce texte pour consoler une jeune religieuse, après la mort d’un petit oiseau apprivoisé : "Omnia opera Dei in aeternum perseverant vel secundum se vel in causis suis. Sic enim et animalia et plantae remanebunt, manentibus caelestibus corporibus". Je propose deux traductions différentes : la première est plus conforme au contexte de cette question disputée ; la seconde au principe émis par saint Thomas dans la première phrase, principe révolutionnaire, si on le mène au bout.

Voici ce principe à propos duquel on ne saurait défendre deux traductions différentes : "Toutes les oeuvres de Dieu persévèrent dans l’éternité, soit en elles mêmes soit dans leurs causes". Ce principe est fondamental. A lui tout seul il emporte notre conviction : Dieu ne crée rien en vain. Le but de la création ne saurait être le néant. Les innombrables virtualités que Dieu a appelées à l’Etre en les créant ne sont pas réduite à rien par le temps qui passe et si elles n’existent plus en elles-mêmes, elles continuent d’exister "dans leurs causes", dit saint Thomas, comme autant de formes lumineuses dans cet "espace intelligible" (Malebranche) qui est le spectacle de sa Toute puissance que Dieu réserve à ses élus.

Le texte a une suite, que l’on peut traduire de deux manières. Voici le latin ; "Sic enim et animalia et plantae remanebunt, manentibus corporibus caelestibus". Première traduction, qui prend acte du contexte du De Potentia : "Ainsi les animaux et les plantes demeureront, tant que demeurent les corps célestes". Dieu qui a donné l’être à toutes choses, comme une participation de son propre Etre infini, peut en effet faire en sorte que même un être incorruptible, comme est le corps céleste dans l’astronomie dite de Ptolémée, ne soit plus. Dieu peut en effet soustraire l’être (ce miracle de l’existence) à tout étant, le réduisant au néant. Mais reste qu’en eux-mêmes les corps célestes sont incorruptibles. Ils restent éternellement semblables à eux-même, au point qu’Aristote (Métaphysique Lambda 8) les appellent "des dieux visibles".

Deuxième traduction ? Si l’on tient compte de l’incorruptibilité des corps célestes dans la physique aristotélicienne, on peut penser que saint Thomas donne le maximum d’amplitude au principe qu’il émet dans la première phrase : "Toutes les oeuvres de Dieu persévèrent dans l’éternité, soit en elles-mêmes soit dans leur cause. Ainsi même les animaux et les plantes demeureront, avec les corps célestes". Si l’on se réfère à la phrase précédente, que nous avons appelé le principe (Toutes les oeuvres de Dieu persévèrent dans l’éternité), en effet, cela coule de source : Toutes les oeuvres de Dieu persévèrent dans l’éternité, même les animaux et les plantes ou les corps célestes (qui en eux-mêmes sont incorruptibles, Magister dixit).

Le principe que saint Thomas met au jour reste purement philosophique. La théologie a-t-elle quelque chose a ajouter sur ce sujet, au nom de la parole révélée ? Il me semble qu’elle affirmerait plus volontiers l’immortalité des animaux que la philosophie aristotélicienne à laquelle se réfère saint Thomas, et, pour laquelle, vous l’avez vu, les choses sont complexes.

C’est un texte du prophète Jonas que nous avons lu la semaine dernière, durant la messe, qui peut servir de base à notre réflexion. Recevant, contre son gré, la prédication du prophète Jonas, les Ninivites se convertissent et font pénitence pour échapper à la colère de Dieu : "Le roi de Ninive fit crier partout dans Ninive comme venant de la bouche de ses princes : "que les hommes, les chevaux, les boeufs et les brebis ne mangent rien, qu’on ne les mène point au pâturages et qu’ils ne boivent rien. Que les hommes et les bêtes soient couverts de sacs et qu’ils crient au Seigneur de toutes leurs forces" ( (Jon. III, 6-7). Les bêtes sont ici associées, dans une solidarité qui nous questionne, à la pénitence des Ninivites. Je soulignerais volontiers que le geste de se couvrir de sacs est un geste liturgique que les bêtes partagent avec les hommes, comme si elles avaient au préalable partagé leurs fautes.

Concernant ce passage, dans son Commentaire du texte de Jonas, Jacques Ellul, grand théologien protestant, offre un point explicatif sur l’homme, l’animal et le péché originel d’après la Bible : "Dans sa condamnation, l’homme a entraîné les animaux. Ils sont irresponsables mais ils sont liés à leurs rois, à leurs chefs déchus. Ils sont englobés dans la destruction qui menace l’univers. L’homme déchu reste cependant le roi et le chef de la création. Il domine sur elle et lui fait suivre son propre chemin.
Mais les animaux comptent aussi devant Dieu. Il ne les a pas créé pour l’abîme, il ne les néglige pas dans l’oeuvre du salut. Et c’est aussi pour eux que la rédemption s’accomplit. L’homme sauvé entraîne à sa suite les animaux dont il est roi Et devant Dieu, l’homme et les animaux sont considérés ensemble sauvés ensemble".

Deux idées principales dans ce texte de Jacques Ellul : les animaux suivent les hommes leurs maîtres qui sont aussi responsables d’eux. Ils ne sont pas rien devant Dieu qui les a créés. Cette deuxième idée force nous la trouvons déjà chez saint Thomas : "Toutes les oeuvres de Dieu persévèrent dans l’éternité". Quant à la première idée sur l’homme responsable du Jardin dans lequel Dieu l’a créé, c’est celle que je développe à la fin du texte sur la liturgie et l’écologie. Elle est présente dans le texte de saint Paul aux Romains que je cite (8, 19-21).

On peut lui trouver un autre fondement scripturaire : l’alliance noachique. Noé, dans son arche a sauvé du déluge sa famille mais aussi les animaux, emportant un couple de chacun d’entre eux, pour préserver la beauté animale de la création, face à la montée des eaux. C’est parce que Noé a sauvé les animaux, œuvres de sa puissance que Dieu fait alliance avec lui en promettant de ne plus jamais détruire l’humanité. Cette alliance, matérialisée par l’arc en ciel, concerne tous les hommes, pas seulement les Juifs et les chrétiens. Elle est fondée sur le respect de la création, qui fait de l’homme le grand intendant du Jardin divin. Un jardin dont nous avons montré que pour saint Thomas d’Aquin, il demeure dans l’éternité.

Abbé G. de Tanoüarn