Homélie de Montreux

, par Pierre

Chers frères et sœurs,

Frères et sœurs, car partageant ensemble cette même petite planète bleue. Comment recevez-vous ces textes ? Comment les avez-vous entendus ? Ces textes ne sont pas innocents, vous le savez, ils nous viennent d’une longue tradition, inscrite dans le Livre des livres, la Bible. Comment résonnent-ils en vous ?

Et puis comment vous situez-vous ? Faites-vous partie de ces fidèles paroissiens qui viennent ici régulièrement pour s’abreuver à cette Source : Parole de Dieu et Eucharistie, Corps du Christ…ou faites-vous partie de la catégorie ici présente des curieux, qui ont pris connaissance des affiches, voire de l’article de presse de la Riviera de vendredi passé, et qui se sont dit : « Pourquoi n’irais-je pas assister à une messe et à une bénédiction des animaux dans cette belle église de Montreux » ou encore, et c’est la dernière catégorie, faites-vous partie de ceux qu’on appelle les amis des animaux, et vous avez voulu être solidaires de la gent animalière en vous montrant à ses côtés avec votre animal de compagnie.

Calder Kamin

Catégorie différente, attentes et motivations diverses, horizons multiples, nous voilà pourtant tous ici, bien présents. C’est cela aussi l’Eglise, Peuple de Dieu. Nous constituons ensemble l’humus, une terre qui reçoit de part et d’autre pluie, grêle, neige, soleil. Et nous ne sommes pas seuls à recevoir la pluie, la grêle, le soleil. Ce monde, Dieu l’a créé, comme nous venons de l’entendre dans notre première lecture, lecture du jour, pour qu’il soit habité et qu’il ne soit pas vide. De même n’est-il pas bon que l’Homme, le genre humain, soit seul. Si les Chrétiens se réunissent une fois par semaine le dimanche, c’est justement pour rompre une solitude spirituelle, pour prier ensemble en communauté, en communion. Ensemble, comme nous venons de le faire auparavant dans nos demandes de pardon, nous prions, nous intercédons pour l’autre.

Aujourd’hui, la plupart d’entre nous disposons de téléphone, de fax, d’ordinateur, d’adresse e-mail. Nous pouvons donc à tout instant rompre notre solitude et être reliés avec le monde entier, avec notre voisin de Chine ou d’Egypte. Nous avons tous également une télé, une radio, qui nous mettent tout de suite au courant de ce qui se passe dans le monde. Sommes-nous pour autant plus proches les uns des autres ? Qu’en pensez-vous ? J’en doute ! La communication moderne est un leurre. Elle aimerait faire oublier à travers la technologie que l’Homme a besoin de l’autre, elle aimerait lui faire croire qu’il est suffisant d’être lié à une machine, à un ordinateur, à une télé pour vivre. Pas besoin des êtres humains, encore moins d’autres êtres vivants. Le film sorti à grand renfort de publicité, Terminator III, le montre bien. La fin du monde, ce n’est pas l’homme contre l’homme, mais bien plus la machine contre l’homme. L’homme qui oublie d’où il vient. L’homme qui oublie l’autre, le Tout autre, je veux nommer Dieu et l’autre, l’animal. Quoi ? me diriez-vous, on est ici dans une église qui a ouvert ses portes aux animaux, une église qui réactualise le rituel de bénédictions des animaux et on prétend qu’on oublie les animaux ? Oui, l’animal en ce XXIè siècle est une fois de plus oublié et exploité.

Calder Kamin

Oh ! bien sûr, il ne s’agit pas ici de nos animaux domestiques, chiens, chats ou hamster – et encore Monsieur Debrot, président de la SVPA pourrait facilement nous contredire – preuves à l’appui – mais de tous ces autres animaux qui sont en voie d’extinction, qui vont être exterminés de la surface de la terre, notre petite planète bleue commune. Et ils sont nombreux. Aujourd’hui, sur les quelques 1,7 millions d’espèces connues, plus de 11000 espèces de plantes et d’animaux sont menacés d’extinction à court terme. Ainsi, selon l’Union Mondiale pour la Nature, 2 ou 3 espèces disparaissent en effet toutes les heures. Si ce rythme n’est pas arrêté, la moitié des espèces de la Terre disparaîtra tout au long de ce XXIè siècle.

Et puis il y a aussi tous ces animaux qui meurent dans les guerres des hommes. Là aussi, on compte des milliers de victimes innocentes. Et puis, il y a ces fameuses catastrophes pétrolières. Combien d’oiseaux se trouvent emprisonnés dans les nappes de l’or noir et meurent asphyxiés dans une longue agonie ? Et enfin, comment ne pas aborder aussi le thème de l’élevage industriel où l’animal n’est plus qu’une marchandise quelconque qui n’a quasi aucun prix ?

« Tes œuvres, Seigneur, tu les as toutes faites avec sagesse. Tous comptent sur toi pour leur donner en temps voulu la nourriture » dit notre psaume. L’animal, nous dit la Bible, n’est donc pas un objet à la merci de l’Homme, il a une valeur en soi ! J’entends ici certains d’entre vous me dire qu’on exagère. « Oui, c’est vrai, oui, il y a la souffrance des animaux, mais il y a encore beaucoup trop de souffrances des Hommes. Alors, laissons les animaux de côté et pensons d’abord aux hommes, aux enfants qui meurent de faim ». J’entends bien cette phrase, je la reçois avec peine et amertume. Mais pourquoi la compassion ne serait-elle pas universelle, ne pourrait-elle pas englober tous les êtres ? Pourquoi doit-on opposer l’un contre l’autre, l’Homme contre les animaux ? Pourquoi ne pourrais-je pas aider d’un côté l’homme et de l’autre l’animal. En sachant encore plus que l’animal n’a personne pour le défendre et qu’il est totalement à la merci de l’Homme. L’animal a une valeur en soi. il a sa propre dignité. Dieu a créé le chat pour qu’il marche. je n’ai pas le droit de lui couper, selon mon humeur du moment, comme cela me chante, ses pattes.

Saint François est peut-être un des premiers « hommes modernes » a voir pressenti cette fraternité cosmique, c’est-à-dire, chaque être vivant est lié d’une certaine manière à l’autre. il a ressenti cela au XIIè siècle. Et la science moderne lui donne raison. En effet, l’éthologie, l’étude du comportement animal – suite aux découvertes de Konrad Lorenz, nous montre que les barrières entre l’animal et l’homme sont plus petites qu’imaginées. Et puis, il y a les avancées de la génétique.La génétique nous montre que nous, c’est-à-dire l’Homme, ne sommes pas si différents de l’animal qu’on aurait pu penser. Oui, j’ose dire en chaire, que l’Homme partage 98% de son patrimoine génétique avec le chimpanzé.

Et je m’en réjouis ! Car cela prouve qu’il y a une unité, unité dans le créé. Que cette unité, voulue par Dieu – je l’affirme en tant que croyant – exige une solidarité entre tous les êtres vivants. il y a la chaîne du bonheur. Eh bien ! Dans cette chaîne les animaux doivent également y trouver leur place.

C’est cette unité qui amènera la paix, paix universelle entre tous les êtres comme nous le prédit notre merveilleux texte d’Isaïe : « Le loup habitera avec l’agneau, le léopard se couchera près du chevreau. Le veau et le lionceau seront nourris ensemble, un petit garçon les conduira ». Ce qui est affirmé dans notre texte n’est pas un conte, une belle petite histoire, ce qui est dit là est appelé à devenir réalité. Oui, sachons chers frères et sœurs, prier pour cette unité de tous les êtres vivants. Sachons remercier Dieu pour cette diversité de tous les êtres créés – chacun avec sa spécificité - . Sachons enfin ne plus mettre seulement l’Homme en avant au détriment des autres êtres créés. les « tout-petits » de l’évangile, ce sont peut-être eux, les animaux, nos humbles frères. Amen.